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REVUE MUSICALE

Éden-Théâtre (direction Lamoureux). — Lohengrin, opéra romantique en 3 actes et 4 tableaux, paroles et musique de Richard Wagner; traduction française de M. Ch. Nuitter.

« Adieu mon cygne ! Adieu mon cygne aimé ! » Le bel oiseau blanc n’a fait que passer pour ne plus revenir, et de longtemps encore le public parisien ne pourra entendre Lohengrin. Horace avait raison de haïr la foule et de l’écarter. Il eût fallu l’écarter de l’Éden, et de telle sorte, qu’elle perdît l’envie d’y retourner. On ne l’a pas osé. On n’a pu assurer contre l’imbécillité de quelques-uns le plaisir légitime et inoffensif du plus grand nombre; on n’a pu sauvegarder ensemble les intérêts de l’art et ceux du pays. Les artistes et les patriotes ont également le droit d’en avoir beaucoup de regrets, avec quelque honte. Et maintenant, parlons musique.

L’opposition que Wagner rencontra d’abord et l’admiration qu’il excita plus tard ; l’humilité ou l’humiliation de ses débuts, et la gloire de sa maturité et de sa vieillesse, cette gloire qui fut longtemps nationale, provinciale même, à laquelle pourvut, plus peut-être que le sentiment public, la sympathie exaltée et la réclame d’un roi ; le bruit fait par le maître et autour de lui ; la création d’un théâtre pour représenter ses œuvres, d’une littérature pour les expliquer, d’un nom pour désigner sa doctrine et ses doctrinaires; le fanatisme de ses partisans et le fanatisme à rebours de ses adversaires; tout cela, autant que son génie, a fait de Wagner un homme à part, plus idolâtré et plus haï que pas un, dont il a été longtemps impossible, même aux plus sages, de parler avec mesure.

Il faut, pour le juger sainement, oublier d’abord tout cela, ne tenir compte ni de nos injustices, ni de ses injures, ni de l’excentricité de son caractère, ni de son étonnante fortune, il eût fallu surtout, est-il