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complaisant de ces exigences. — « Soyez donc, écrivait-il dans une de ses boutades à Chavigny, plus Français et moins Bavarois, et ne laissez pas faire de notre patrie une vache à lait… Il semble, en vérité, qu’on veuille rançonner notre amitié : on nous demande tous les plus petits besoins. » — Effectivement, il venait de recevoir un mémoire où on le pressait de subvenir au renouvellement des habits et même du linge de l’électeur. — « Bientôt vous nous demanderez de vous fournir d’air et d’eau… Quand on est ainsi dans la gêne, on fourrage ses propres sujets, pour faire vivre son armée et pour soutenir son trône. Pensez-vous que notre bon Henri IV n’ait pas fait vivre la sienne aux dépens de ses bons sujets, quand il s’est agi de reconquérir son royaume, et alla-t-il demander à ses alliés de l’argent et des troupes ? On laisse pleurer ses sujets quand il s’agit de se défendre de l’ennemi… Il n’y a qu’un mot pour tout ceci : la Bavière ne s’aide pas assez, car on nous demande tout. Je vous demande sur quoi elle s’exécute elle-même ? Quand nous requérons sa fidélité, on m’en assure, à la vérité, mais on en use comme les prudes qui font enrager leur époux et ôtent ainsi toute grâce à la vertu. » — Puis, Chavigny essayant de revenir à la charge pour excuser son client et insinuer de nouveau quelques considérations d’intérêt général sur l’état de l’Allemagne et les moyens énergiques nécessaires pour y recouvrer l’ascendant perdu : « Où prend-il ce galimatias ? écrit le ministre d’une main irritée, sur son carnet de notes. Je ne trouve M. de Chavigny bon que pour brouiller les cartes, s’il est nécessaire de les brouiller ; mais ce secours sera cher… Je suis persuadé qu’il y a moins à faire qu’à laisser faire. M. de Chavigny, par son expérience, devrait sentir quelle est cette politique adroite qui évite d’éteindre le feu en voulant l’attiser, qui fait naître chez les autres les discordes qu’on souhaite de voir naître, et qui les excite doucement et avec adresse[1]. »

En définitive, la seule marque d’intérêt un peu ostensible que la France se décida à donner à ses alliés d’Allemagne, ce fut la substitution du jeune prince de Conti au maréchal de Maillebois dans le commandement de l’armée du Rhin. On pouvait penser, en effet, que la présence d’un prince du sang encore à la fleur de l’âge, actif, ardent et venant de s’illustrer en Italie par une campagne très bien conduite, serait de nature à rendre confiance aux esprits découragés et à imprimer une vigueur nouvelle aux opérations militaires ; d’Argenson ne se faisait pas faute de donner cette espérance à Chavigny pour le consoler du peu de succès de ses réclamations. Mais

  1. D’Argenson à Chavigny, au prince Grimbeighe, ministre de Bavière à Paris, et notes autographes, 13-16 février, 15-20 mars 1745. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)