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était indispensable pour la sécurité de sa frontière du nord. Il se flattait d’y avoir réussi, et tout semblait l’en assurer. N’avait-il pas su habilement profiter d’un moment d’irritation d’Elisabeth contre un ambassadeur de Marie-Thérèse pour obtenir d’elle la garantie du traité de Breslau, en même temps qu’elle appelait dans sa famille, comme épouse du grand-duc héritier, une princesse qui tenait de près à la maison de Prusse ? Depuis lors, que n’avait-il pas fait pour lui complaire ! Quels soin délicats n’avait-il pas pris pour aller au-devant de ses désirs et ménager ses secrètes faiblesses ! Un véritable commerce amoureux s’était établi entre les deux souverains, avec une correspondance habituelle de billets doux et l’échange classique des portraits. — « Quelle satisfaction n’est-ce pas pour moi, s’écriait Frédéric en recevant l’image grotesque de la sauvage tsarine, de paître mes yeux dans les traits de la plus grande, de la plus belle, de la plus accomplie souveraine que l’Europe ait vue naître ! »

Et de plus réels services venaient en même temps confirmer ses tendres protestations. Ainsi, quand Elisabeth, dans une boutade d’inconstance ou de jalousie, traitant un ambassadeur comme le plus vulgaire des amans, avait brusquement donné son congé au ministre de France La Chétardie (après l’avoir honoré de bontés compromettantes), c’était Frédéric qui s’était entremis auprès de Louis XV pour empêcher que cette querelle d’amoureux ne dégénérât en rupture diplomatique. Il avait si bien fait que, loin de lui en garder rancune, le roi de France, en accréditant un nouvel ambassadeur, avait consenti à donner à la fille de Pierre le Grand le titre de majesté impériale, qu’elle convoitait depuis longtemps, et que l’orgueilleuse étiquette de la maison de Bourbon avait refusé même à son glorieux père. Tant de coquetteries et de déférences semblaient avoir produit leur effet, car Elisabeth venait d’annoncer l’intention d’offrir sa médiation aux puissances belligérantes pour terminer le conflit européen, et Frédéric, se croyant maître de son cœur, s’applaudissait d’avance du verdict qu’en qualité d’arbitre de la paix du monde, elle ne pouvait manquer de rendre en sa faveur.

La nouvelle, promptement transmise à Versailles, n’y inspirait pas moins de confiance et n’y causait pas moins de satisfaction. D’Argenson s’était empressé de faire écrire à Louis XV une lettre pleine de tendresse pour l’impératrice, une vraie lettre d’agacerie, disait-il, et pour être plus sûr qu’elle serait bien tournée, il en avait confié la rédaction à la plume habile de Voltaire. — « La souveraine à qui je dois le plus d’estime, faisait-on dire au roi de France dans cette épître galante, veut être la bienfaitrice des nations. Les rois ne peuvent aspirer chez eux qu’à la gloire de faire la félicité de leurs sujets :