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fit mine de regimber ; bien plus, ils s’empressaient volontiers à se mettre en rang pour aller au poste sous l’escorte des sergens de ville. Si j’étais préfet de police, je ferais faire de temps à autre le dénombrement du vagabondage qui se prélasse dans Paris ; rien ne serait plus facile : les gardiens de la paix, au cours de leur ronde perpétuelle, compteraient les fainéans qu’ils auraient aperçus ; on saurait alors, d’une façon à peu près exacte, à quel chiffre s’élève la tribu des insoumis qui sont les parasites de la civilisation et vivent à son détriment. Rue Clavel, on fait bien de se tenir en garde contre eux et de ne point leur ouvrir les portes de la maison.

Elle est étroite, cette maison, assez mal distribuée, munie d’un escalier surbaissé qui n’est point d’accès facile, mais elle remplit l’objet auquel on l’a destinée, et c’est assez. Elle peut contenir vingt-quatre lits en deux dortoirs ; cela répond aux exigences quotidiennes, car le personnel des pensionnaires dépasse rarement le chiffre de vingt. On a cependant prévu le cas où l’on ne pourrait, faute de place, hospitaliser tous les postulans, et l’on a fait une convention avec un logeur de la rue du Faubourg-du-Temple, qui, moyennant 0 fr. 60 par tête et par nuit, met à la disposition de l’asile cent cinquante chambres. La quantité est considérable et démontre quel préjudice les hospitalités de nuit ont porté aux garnis. Jusqu’à présent, la maison de la rue Clavel a fait face à tous les besoins et n’a pas été dans la nécessité d’envoyer coucher dehors les malheureux qui lui demandaient un lit. La règle y est très paternelle, et, sauf l’interdiction de fumer dans le hangar pour éviter l’incendie des margotins, je n’y rencontre aucune mesure restrictive. Dans la salle, qui sert à la fois de chauffoir et de réfectoire, je compte quelques volumes dont les pensionnaires ont le libre usage ; la nourriture est suffisante, les draps des couchettes sont souvent renouvelés, et la porte n’est jamais fermée, ce qui exclut toute apparence de séquestration. On m’a paru assez silencieux et fort occupé à la besogne ; mais je sais que la présence d’un étranger dont on ignore la qualité et qui éveille instinctivement la défiance produit toujours une accalmie momentanée et fait redoubler d’ardeur au travail.

Les hommes qui sont là appartiennent aux catégories que souvent j’ai déjà rencontrées. Ils viennent du chômage, on n’en peut douter, mais ils viennent aussi de l’inconduite et de la prison. Le patronage des libérés protestans s’exerce rue Clavel ; on ne me l’a pas dit, mais je ne crains pas d’être démenti en l’affirmant. Lorsque le détenu a fait son temps et qu’il n’a pas encore trouvé à ramasser son pain, il vient à la petite maison, qui-est trop hospitalière pour