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c’était l’Allemagne entière à parcourir du sud au nord dans sa plus grande dimension, par des routes défoncées et encombrées de neige, à travers des contrées où régnaient depuis quatre années tous les désordres que la guerre entraîne à sa suite. Avec le train dont Belle-Isle s’était embarrassé, ce n’était pas une petite affaire ; il en sentait lui-même, un peu tard, toute la difficulté, car il écrivait à l’un de ses amis : « Je dois quitter l’empereur pour rejoindre le roi de Prusse ; hoc opus, hic labor est. Je ne sais, en vérité, par où je pourrais passer avec sécurité pour joindre ce prince… Si vous voulez regarder la carte ; vous verrez l’étendue de cette promenade, et dans quelle saison et par quels chemins ! »

Il arriva pourtant sans encombre jusqu’à Hanau, dans le duché de Hesse-Cassel, où il devait rencontrer le prince Guillaume, régent de ce petit État, un des associés de l’union de Francfort, et qui, grâce à ses six mille soldats, dont il savait faire trafic à tout propos et à tout venant, était toujours un homme à ménager. Après l’avoir entretenu des propositions qu’il comptait soumettre à Frédéric, le maréchal lui demanda, par occasion, son avis sur la meilleure voie à suivre pour arriver à Berlin sans délai et sans obstacle. L’itinéraire que le prince lui conseilla ne fut ni le plus direct ni le plus commode, car il l’engagea, au lieu d’entrer en Prusse par Halberstadt et Magdebourg, ce qui eût été suivre la ligne droite, à remonter au nord, à travers les montagnes du Hartz, pour atteindre le point où la province de Brandebourg touchait à l’électorat de Hanovre. La raison qu’il donna de cette préférence fut que cette route, servant au roi de Prusse pour communiquer avec les parties détachées de ses états, était desservie par des relais de poste prussiens, et qu’on serait sûr ainsi, en dépêchant d’avance une estafette, d’y trouver à l’heure dite le nombre considérable de chevaux dont le maréchal avait besoin[1].

Seulement, le prince Guillaume n’avait probablement pas présente à la mémoire une circonstance effectivement singulière, c’est qu’en vertu de conventions qui dataient de loin, un des relais de poste de cette route était placé sur le territoire même du Hanovre, dans la petite ville d’Elbingerode, qui faisait partie de cet électorat. On pouvait bien oublier cette particularité, car rien ne la rappelait aux voyageurs ; la maison de poste, qui était la seule un peu apparente de cette bourgade, appartenait à la couronne de Prusse, comme l’attestait l’écusson royal qui en surmontait la porte principale.

Aussi, ce fut en pleine confiance que, le 20 décembre au matin, le maréchal, ayant envoyé en avant, comme d’habitude, une chaise

  1. Belle-Isle à Vauréal, ambassadeur de France en Espagne. — (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)