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Le Salon de 1887, qui contient peu de chefs-d’œuvre et qui montre même, dans cette crise sérieuse, le désarroi des esprits porté à son comble, permet du moins de reconnaître la nature et d’examiner la portée de ces conséquences : d’une part, c’est la rupture complète avec toutes les formules, la recherche, avant tout, d’une impression vive et simple devant un spectacle réel, c’est-à-dire un développement utile de l’esprit d’observation ; d’autre part, c’est un mépris non dissimulé pour l’imagination, pour la pensée et pour le rêve, avec une indifférence croissante pour la figure humaine, pour sa constitution intime et pour sa beauté plastique, c’est-à-dire un affaiblissement fatal des facultés les plus nécessaires à l’artiste, les facultés d’invention, de réflexion, d’exécution.

S’il y a, dans ce mouvement, certains élémens de rénovation qu’il ne faut pas dédaigner, les élémens de dissolution et de corruption qui s’y mêlent y sont donc plus nombreux encore et tout à fait dangereux. C’est notre école, disons-le nettement, qui peut s’en trouver le plus rapidement et le plus gravement atteinte. Si, depuis deux siècles, acceptant l’héritage des grands génies de la renaissance en Italie et dans les Pays-Bas, les peintres français tiennent la tête en Europe, c’est grâce à des qualités nationales, permanentes et nécessaires, absolument liées à notre tempérament, dont la disparition entraînerait notre déchéance : la science réfléchie de la composition équilibrée et significative, la précision et la souplesse du dessin, l’intelligence de la grâce et de la beauté. À ces qualités traditionnelles, l’école de 1830 ajouta l’éclat et la solidité des colorations, la vivacité et la simplicité du sens pittoresque. Or c’est précisément ce fonds, soit naturel, soit acquis, héritage solide et précieux d’une expérience séculaire, que des novateurs irréfléchis ou trop pressés ne craignent pas de compromettre, sans que la légèreté du public, à la fois étourdi par la multiplicité des expositions inutiles ou ridicules, et par la cacophonie des réclames, des quolibets et des flagorneries qui les suivent, prenne le temps de s’en émouvoir. Notre devoir, à nous, est de le défendre.


I

C’est dans les genres qui s’éloignent le plus du paysage, dans l’histoire et dans la décoration, qu’il est surtout curieux d’observer, tantôt heureuse, tantôt néfaste, cette action récente de la peinture rustique. Si la liberté d’imagination, la force de réflexion, l’unité de composition, le respect de la forme, sont quelque part nécessaires, c’est sans doute en des ouvrages de grande dimension