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qui il était, et la réponse ne manquait jamais d’être accompagnée de quelque injurieuse épithète.

A moitié gelés et morts de fatigue, les captifs arrivèrent enfin à Osterode, et leurs gardiens firent remise de leur prise entre les mains du commandant de la place, le baron de Münnchausen. Le baron était un gentilhomme de bonne maison et de bonne façon, qui avait connu Belle-Isle à Francfort. Il se montra aussi surpris que contrarié de l’aventure. Très honteux des procédés grossiers de ses compatriotes il se confondit en excuses ; la main sur la conscience, il jurait qu’il n’avait ni donné, ni reçu, ni transmis aucun ordre pareil. Il fallait que le bailli eût été avisé directement par quelque autorité supérieure, car tout s’était passé sans son concours et même sans sa connaissance. L’affaire pourtant était trop importante et trop mystérieuse pour qu’il se crût en droit de mettre en liberté de si grands personnages. D’ailleurs, le maréchal s’était déclaré prisonnier de guerre, et par là même, en quelque sorte, avait régularisé le fait dont il était victime. En tout cas, il fallait en référer à la régence de Hanovre et de là, probablement, au roi d’Angleterre. Mais, en attendant, Münnchausen promit que ses prisonniers, gardés dans un logis convenable, n’auraient à se plaindre de manquer d’aucun des égards dus à leur qualité. La preuve que Münnchausen était sincère dans ses protestations d’ignorance, c’est qu’il négligea la seule mesure dont l’intérêt eût pu justifier la violence du procédé. Il ne songea pas tout de suite à mettre la main sur le portefeuille de Belle-Isle, où il aurait trouvé pourtant de précieuses correspondances, tout le détail des relations des cours alliées entre elles, leurs plans de campagne et l’état actuel de leurs ressources. Ce ne fut que deux jours plus tard et après réflexion qu’il s’avisa qu’on lui reprocherait peut-être cet oubli, et qu’il ordonna une perquisition qui fut, à la vérité, très rigoureuse, puisqu’on fouilla même les poches des secrétaires. Il était trop tard, et Belle Isle avait eu le temps d’anéantir tous les papiers compromettans[1].

Mais si ce n’était pas d’Osterode que partait le coup, d’où était-ce donc ? Car on n’avait pu ni à Hanovre, ni encore moins à Londres, prévoir l’imprudente direction donnée au voyage d’un envoyé français, il faut donc croire que ce fut le maître de poste d’Elbingerode qui, à lui seul et interprétant à sa guise un ordre général de police,

  1. M. Droysen, t. II, p. 482, conteste que cette destruction des papiers de Belle-Isle ait été complète, et assure qu’on garde un résumé intéressant de ce qui fut trouvé dans son portefeuille aux archives de Hanovre. Il fallait cependant que les plus importans de ces papiers eussent disparu pour qu’il n’ait été fait aucun usage ni aucun bruit de cette découverte, et que Frédéric lui-même, qui avait témoigné son inquiétude à ce sujet, paraisse l’avoir ignorée.