L’une des plus grossières erreurs commises par les théoriciens du modernisme, c’est d’attribuer à tous les sujets contemporains, quels qu’ils soient, la même valeur esthétique ; c’est de croire que tous peuvent également fournir matière à des développemens épiques. L’idée de glorifier le travail sous toutes ses formes, le travail des humbles comme celui des illustres, est une idée équitable, utile, élevée. Est-ce une raison pour donner, sur un mur d’édifice public, la même importance, par les dimensions et par la place, à un chiffonnier anonyme qu’à un homme d’état glorieux, à un porteur d’eau qu’à un poète, à une blanchisseuse qu’à une héroïne ? Mimi Pinson a-t-elle vraiment autant de droits à notre admiration que Jeanne d’Arc ? On peut croire, il est vrai, que cette exagération de dimensions donnée à des scènes insignifiantes a été, dans certains cas, un calcul plus ou moins conscient autant qu’une erreur intellectuelle, car on trouvait ainsi le moyen, sous prétexte de simplification, d’échapper aux critiques qui n’eussent pas manqué d’atteindre les mêmes sujets traités avec la même négligence en des cadres plus restreints. Quoi qu’il en soit et bien que le bon sens public commence à faire justice de ces extravagances, on y a perdu beaucoup de temps.
Trois sérieux artistes, armés d’une conviction évidente, doués d’un talent incontestable, ont peut-être, plus que tous les autres, contribué, par leurs exemples mal compris, à entraîner nombre d’imprudens dans cette voie périlleuse. MM. Lhermitte, Roll, Gervex exposent encore cette année des sujets modernes traités dans de grandes dimensions. On peut juger, en examinant leurs trois remarquables peintures, des difficultés qu’entraîne le système même pour les plus forts. Comme peintre des mœurs rustiques, M. Lhermitte occupe un rang hors pair. Ses dessins surtout, d’un arrangement si pittoresque, d’une facture si large, ont une haute saveur campagnarde. Il sait reconnaître et fixer, chez les paysans et paysannes, des attitudes et des gestes d’une simplicité noble et d’une grâce puissante, dans un style moins grave et moins austère, mais plus souple et plus varié que celui de Millet. Ses types de faucheurs et d’ouvriers dans la Paie et dans le Vin ont une franchise qui les a tout de suite imposés à l’imagination populaire. Dans sa Fenaison, deux figures au moins, celle du faucheur chauve, chaussé de gros sabots, en manches de chemise, qui, assis à terre, martèle sa faux, celle de la grande paysanne en corset lâche qu’on voit, de dos, accoudée sur une botte de foin, parlant à la petite fille chargée de râteaux, montrent la même simplicité saine et robuste. L’ensemble de la scène exhale une forte et bonne odeur champêtre. Dans cette toile intéressante, le peintre a-t-ii pourtant, aussi bien