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l’objet d’un rapport favorable de leurs chefs, ils sont nommés médecins aides-majors de troisième classe (sous-lieutenans) et renvoyés dans leurs foyers. » Ce sous-lieutenant, qui, par la pratique civile, par ses études ultérieures, a chance de devenir un médecin distingué, pourra-t-il du moins, comme couronnement de ses efforts, en se soumettant à des examens spéciaux, en servant temporairement dans un corps de troupe ou dans un hôpital, obtenir un grade plus élevé ? En aucune façon. Il gardera jusqu’à quarante ans le grade le plus infime de la carrière, il restera jusqu’à quarante ans aide-major de troisième classe (sous-lieutenant). N’oublions pas, en effet, que l’étonnant article 275 ne permet à un médecin de réserva de s’élever au-delà du rang le plus inférieur que s’il est professeur titulaire ou agrégé d’une faculté de médecine, médecin ou chirurgien d’un hôpital nommé au concours ! L’auteur ou les auteurs de la loi organique ignorent certainement, non pas seulement ce que c’est qu’un professeur titulaire ou agrégé de faculté, mais aussi qu’il n’y a que six facultés de médecine en France, que la plupart de leurs professeurs titulaires échappent par leur âge à la loi militaire, et que les villes où le recrutement des médecins des hôpitaux se fait par le concours sont, en dehors de Paris et de Lyon, extrêmement rares en France. Le résultat le plus net de la loi militaire est de reléguer tous les médecins civils dans le grade du médecin aide-major de troisième classe (sous-lieutenant), moyen aussi simple que facile de résoudre le difficile problème de l’organisation du service de santé, puisque en donnant le dernier rang de la hiérarchie aux médecins civils, on les soumet à la supériorité hiérarchique de tous les médecins militaires sans exception.

Ainsi, un médecin distingué, âgé de trente-neuf ans, médecin en chef d’un hôpital important, habitué depuis longtemps à la pratique professionnelle, ayant l’autorité légitime que donnent l’âge, le savoir, l’expérience, devra reconnaître pour chef un jeune docteur, sorti tout récemment du Val-de-Grâce, et qui n’aura jamais, sous sa responsabilité personnelle, soigné un seul malade. Voilà ce qu’on appelle organiser un service ! Il n’était pas besoin de quinze ans de réflexion pour mettre au jour cette monstruosité. Qu’arrivera-t-il en cas de mobilisation ? Il est facile de le prévoir et je vais le dire.

Les quatorze cents médecins militaires seront noyés sous l’afflux de douze à treize mille médecins civils, docteurs ou étudians en médecine appelés à l’activité. Ces médecins militaires auront la suprématie matérielle que leur donnent la loi et leur grade ; ils n’auront pas l’autorité morale, sans laquelle il n’est pas d’autorité. L’un d’eux, et je ne prends pour exemple ni un médecin aide-major, ni même un chirurgien-major de première classe, l’un d’eux, dis-je, médecin