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à lui, un seul point l’embarrassait, la question de savoir qui aurait l’Alsace. »

Les nécessités de la vie ont souvent raison de nos attachemens et de nos aversions, et nous sommes appelés quelquefois à lier partie avec des gens que nous aimons peu. Dans la seconde semaine du mois de juillet 1866, M. de Beust accourait à Paris, chargé d’une mission de l’empereur François-Joseph. Il venait solliciter l’intervention de Napoléon III, seul recours, seule chance de salut qui restât aux vaincus. Le moment était peu propice ; l’empereur était malade et dans un état de prostration morale. — « un an plus tard, nous l’avons revu à Salzbourg, frais de corps et d’esprit. Mais qu’était-il en 18661 Il balbutiait continuellement comme un enfant : Je ne suis pas prêt à la guerre. » — « Je ne demande pas, sire, que vous fassiez la guerre, lui répondait M. de Beust. Je suis, malgré tout, assez bon Allemand pour ne pas même le désirer ; mais il ne s’agit pas de cela. Vous avez 100,000 hommes à Châlons, dirigez-les sur la frontière, faites partir une escadre pour la Mer du Nord, c’est tout ce qu’il faut. La ligne d’opération de l’armée prussienne est déjà trop étendue pour qu’elle ne soit pas obligée de faire halte. A Vienne, à Munich, à Stuttgart, on reprend courage, et l’Allemagne vous accepte avec reconnaissance comme médiateur. Si vous ne faites pas cela, vous aurez peut-être la guerre avec la Prusse dans cinq ou six ans, et alors je vous promets que toute l’Allemagne marchera avec elle. » — Il ne put triompher de la résistance inerte d’un malade qui venait de donner Venise à l’Italie et qui était à mille lieues de prévoir qu’un jour l’Alsace serait une province allemande.

En 1871, M. de Beust eut à Gastein un long entretien avec l’empereur Guillaume, qui lui fit une véritable conférence sur l’histoire contemporaine et lui déclara que le sort de la France s’était décidé en 1866, qu’elle s’était perdue par son abstention : « Napoléon, disait-il, aurait pu et dû tomber sur nos derrières. » — Il prétendait que, pour lui, il n’avait jamais pu croire à la neutralité de la France, qu’il s’était décidé difficilement à dégarnir la province du Rhin. Il ajoutait avec une audacieuse candeur que de ce jour il avait voué à l’empereur Napoléon une grande reconnaissance. Toutefois, en 1866, M. de Beust n’avait pas absolument échoué dans sa mission. Grâce à l’assistance du comte Walewski, il avait obtenu que le gouvernement français intervînt pour l’Autriche dans les négociations de paix et interposât ses bons offices pour garantir l’intégrité de la Saxe : « Je peux dire que j’ai sauvé alors mon pays d’un entier anéantissement. » — Qu’y a gagné la France ? Il était écrit que dans ce temps-là elle n’aurait d’énergie que pour obliger des ingrats.

Quatre ans plus tard, elle sollicitait à son tour l’assistance de