l’empire austro-hongrois régnait le plus sincère désir d’entretenir avec le puissant état voisin les rapports les meilleurs et les plus amicaux. » Mais il faut lui rendre la justice qu’il sut sauver les apparences. Comme l’écrivait le duc de Gramont, « il y aurait de notre part une certaine ingratitude à ne pas reconnaître qu’entre toutes les puissances, l’Autriche fut la dernière à nous abandonner complètement. »
M. de Beust était sujet aux illusions. Il ne comprit pas sur-le-champ que, par une conséquence fatale, nos malheurs devaient influer sur son sort et hâter sa chute. Depuis que l’Autriche s’était rapprochée de la Prusse et cherchait sa sûreté dans l’alliance allemande, il lui fallait un ministre des affaires étrangères qui fût agréé à Berlin. L’empereur François-Joseph devait s’y rendre l’année suivante ; pouvait-il s’y faire accompagner d’un homme avec qui le gouvernement prussien avait refusé de traiter en 1866 ? Ce qui rassura M. de Beust, c’est que, dans l’été de 1871, il passa trois semaines à Gastein avec M. de Bismarck, qui, après l’avoir traité jadis fort durement, avait témoigné le désir de causer « avec le plus aimable de ses adversaires. » — Ils eurent ensemble de longs entretiens. M. de Bismarck fut charmant ; mais M. de Beust aurait dû se souvenir que, vingt ans auparavant, cet étincelant causeur lui avait dit : « Quand mon ennemi tombe dans mes mains, je considère que mon devoir est de le détruire. » Sur ces entrefaites, le comte Andrassy demanda à venir, lui aussi, rendre ses devoirs au chancelier allemand. M. de Beust s’en étonna ; mais résolu à ne s’inquiéter de rien, il s’entremit obligeamment pour procurer ce plaisir au ministre hongrois, qui fut invité à Salzbourg. — « Je suis, nous dit-il, la bête du bon Dieu, et j’ai toujours en en horreur l’espionnage et les rapports clandestins. Je ne me suis pas inquiété à Salzbourg des entretiens secrets que purent avoir ensemble le comte Andrassy et M. de Bismarck, et j’ai fait peu d’attention à ce qu’on m’en disait. » — Quelques mois avant, il avait écrit à une amie qui lui envoyait un bouquet de violettes cueillies dans ses serres : « Nous nous sommes partagé aujourd’hui vos violettes, Andrassy et moi, et nous les avons portées à notre boutonnière en nous promenant à cheval au Prater, afin que les passans pussent voir que nous n’avons qu’un cœur et qu’une âme[1]. » On pourrait écrire tout un livre sur la naïveté des gens d’esprit.
Mais ce n’étaient pas seulement nos malheurs et les victoires de la Prusse qui rendaient M. de Beust impossible ; Cisleithans et Transleithans, après avoir exalté son mérite, ne voulaient plus être menés par l’étranger, par l’intrus. Metternich avait dit jadis : « Il est possible que
- ↑ Der Kanzler à la minute, von Sigmund Schlesinger ; livraison du 4 janvier 1887 de la Deutsche Rundschau.