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les caractères des autres personnages, mais certains apprêts d’un style théâtral, — ah ! comme ce reste, avec ses seuls mérites, nous laisserait indifférens ! Le père de Mario, naguère, a succombé dans un duel déloyal ; le meurtrier a pris soin de laisser sa dague dans la blessure ; et Mario, muni de cet accessoire, voyage pour le découvrir. Avant de rejoindre ce démon, qui l’enverrait volontiers ad patrem, il a rencontré sur la route un archange, qui s’est fait son ange gardien. L’un se fait appeler Alvimar (mais son vrai nom est Sciarra) ; l’autre s’appelle Jovelin (mais son vrai nom est Giovellino des Giovellini). L’un est le persécuteur, l’autre est le champion de l’orphelin. Et tous les deux, celui-ci par amour, celui-là par ambition, aspirent soudainement à la main de la même femme. Le méchant est le favori du maréchal d’Ancre ; et le bon est proscrit, réduit au métier de musicien ambulant. La question est de savoir lequel des deux l’emportera : si le mort sera vengé, l’enfant sauvé, ou si l’assassin poussera plus loin sa fortune ; si la belle sera le prix du justicier, ou la proie du coupable. Une exacte Providence fait servir tous les événemens au triomphe du droit, à la défaite du crime. Elle donne même cette preuve d’attention qu’elle fait tuer Concini, dans le lointain, à l’heure précise où son protégé aurait le plus besoin de secours. A la fin, elle pousse le démon sur l’épée de l’archange. Du premier acte au cinquième, s’est une lutte bien réglée entre ces deux personnages. Nous la regardons avec curiosité, mais sans battemens de cœur, et pourquoi ? C’est que les deux adversaires, plutôt que des hommes, sont des fantoches. Il fait partie de la troupe des pupazzi romanesques, ce ténébreux Alvimar, qui « joue avec le fer comme on joue avec l’or. » Et ce Jovelin ! Il sort évidemment du guignol romantique. Il est « errant, seul, ruiné, hors la loi. » Qu’un scélérat de haute mine fasse difficulté pour croiser le fer avec lui, aussitôt il se révèle gentilhomme : « La preuve que je suis noble et seigneur ? la preuve ? ., eh bien ! c’est que je suis banni, fugitif et condamné à mort par le tribunal de l’Inquisition. » Tout à l’heure, en effet, comme on lui demandait s’il avait aperçu dans quelque fête Marie de Médicis et Concini : « Oui, a-t-il répondu, j’ai vu à Florence ces grands personnages ; j’en ai même vu de plus grands. — Qui donc ? — J’ai vu Giordano Bruno sur son bûcher, Campanella en prison et Galilée à genoux. — Ah ! vous avez connu ces gens-là ? — Oui, j’ai eu le bonheur d’approcher plusieurs des grands esprits de mon temps. » Il ne le dit pas, par modestie, mais il a certainement approché Victor Hugo. Et il ne dédaigne pas, ce grand homme à la suite, d’interrompre ses spéculations sublimes pour accompagner un enfant par les chemins, ni même pour chanter la romancé à madame ; il a des tours subtils pour déclarer sa passion : « Je ne vous aime pas, madame ! Je ne vous aime pas ! Et comment voulez-vous que je vous aime ? .. Je me suis dévoué à vous en silence, je