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question de l’augmentation des salaires et de la diminution des heures de travail ? On ne distingue pas que ce soit là le motif réel de ces agitations nouvelles qui émeuvent la Belgique. Ce qui pourrait intéresser les ouvriers est ce qui occupe le moins les meneurs. Les programmes des grévistes sont même assez vagues sous ce rapport. C’est tout au plus si, au premier moment, on a pris pour prétexte une loi nouvelle qui établit un droit d’entrée sur les bestiaux étrangers, sur la viande, et qui a été représentée naturellement comme un moyen d’affamer le peuple. En réalité, ce n’est pas pour cela que les grèves ont commencé, que les populations ouvrières ont été et sont encore chaque jour poussées à l’insurrection. Le vrai programme gréviste, c’est la revendication du suffrage universel, avec l’amnistie en faveur des condamnés de l’art dernier. Et le suffrage universel lui-même, bien entendu, n’est qu’un premier pas, ou, si l’on veut, un mot d’ordre à inscrire sur un drapeau. Au fond, les meneurs n’ont d’autre objet que d’organiser la guerre contre les institutions politiques de la Belgique, contre la grande industrie, contre le capital et le patronat. C’est un mouvement révolutionnaire et socialiste qu’on déchaîne en faisant appel aux passions d’une population aveuglée par la misère, et à l’appui de ce mouvement, on ne propose rien moins que de décréter une suspension universelle du travail, une grève générale de toutes les industries, — ce qu’on appelle la « grève noire ! » Ici, il est vrai, surgissent les dissidences même parmi les agitateurs. M. Defuisseaux, un des plus ardens socialistes, qui ne laisse pas d’avoir ses Béides, est pour la a grève noire ; » d’autres chefs du parti ouvrier, comme M. Auseele, combattent cette idée étrange d’une suspension générale du travail. En définitive, cependant, si les moyens sont différens, ce n’est qu’une affaire d’opportunité, le but est le même pour tous les révolutionnaires ; c’est toujours la guerre à toutes les institutions politiques et sociales de la Belgique ; c’est ce mouvement contre lequel le cabinet de Bruxelles est réduit depuis quelques jours à déployer une répression laborieuse.

Ce n’est pas seulement la paix intérieure de la Belgique que le gouvernement défend, que les partis, catholiques et libéraux, sont intéressés à sauvegarder, c’est peut-être aussi la sécurité extérieure du pays qui risquerait d’être en cause selon les circonstances. Il ne faut pas s’y tromper, en effet. Les agitateurs sans scrupule et sans prévoyance qui ne craignent pas de déchaîner les passions serviles, d’ameuter des populations égarées par la misère, peuvent créer plus d’un danger. Ils pourraient sans doute, s’ils avaient, ne fût-ce que pour un instant, une apparence de succès, désorganiser et ruiner leur pays ; ils pourraient aussi attirer sur lui les interventions de gouvernemens voisins, qui, pour leur propre sécurité, se croiraient autorisés à rétablir la paix, qui ne demanderaient peut-être pas mieux. Ils auraient tout simplement