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bout de trois mois, le général autrichien, le duc d’Arenberg, lassé de chercher tour à tour et d’attendre en vain un adversaire qu’on ne prenait jamais au dépourvu et qui ne prêtait jamais le flanc, très mal à son aise d’ailleurs dans un pays ravagé, et gêné dans ses communications parce que l’abord des fleuves lui était interdit, donna le signal de la séparation de ses troupes avant l’époque de la station d’hiver. Ce témoignage d’impuissance était un hommage éclatant rendu à une supériorité de talens, d’autant mieux appréciée qu’on avait été plus lent à la reconnaître.

La surprise qu’éprouvaient les contemporains, la postérité ne la partage pas au même degré ; elle sait, en effet, que ce déploiement de qualités nouvelles n’était pas chez Maurice l’effet d’une illumination soudaine, mais bien le fruit d’études et de méditations sérieuses sur l’art de la guerre auxquelles il s’était livré silencieusement et qu’il avait même résumées plus de dix années auparavant en quelques pages, sous le nom modeste de Mes Rêveries. Dans ce petit écrit, qui fait partie aujourd’hui de l’instruction classique de nos écoles militaires, la guerre n’est nullement considérée comme un grand jeu où l’audace seule dispute le prix à la fortune ; loin de là (y est-il dit dès les premières lignes), c’est une science qui a ses principes et ses règles, malheureusement couvertes de ténèbres, parce que ceux qui les ont pratiquées par instinct n’ont pas pris assez de soin de les mettre en lumière. Il faut être consommé pour les entendre ; et, partant de là, l’écrivain improvisé essaie lui-même d’en établir quelques-unes, au nombre desquelles figure celle-ci : — « Je ne suis point pour les batailles, surtout au commencement d’une guerre ; je suis persuadé qu’un habile homme peut la faire toute sa vie sans s’y voir obligé. Rien ne réduit tant l’ennemi à l’absurde que cette méthode : rien n’avance plus les affaires. Il faut donner de fréquens combats et fondre pour ainsi dire l’ennemi, après quoi il est obligé de se cacher. »

N’était-ce pas écrire par avance toute l’histoire de la campagne qu’il venait de conduire en Flandre ? Rien d’étonnant donc que, s’étant si bien tracé sa voie, il l’eût à l’épreuve si fermement suivie[1].

Pourtant, il faut bien le dire, l’explication du fait n’est guère moins étrange que le fait lui-même. Quoi ! c’est au mois de décembre 1732 (c’est la date que porte le manuscrit), c’est-à-dire quand le bâtard d’Auguste II n’était encore qu’un royal officier de fortune, guerroyant pour l’amour de la vaillance comme un chef de bandes du moyen âge, tour à tour sous les drapeaux d’Autriche

  1. Mes Rêveries, ouvrage posthume du maréchal de Saxe. (Paris, Dumaine, 1872, p. 139)