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si visiblement favorisé par ce coup de fortune. Tous allaient songer tout de suite (il fallait s’y attendre) au moyen de faire, chacun pour son compte et à son profit, sa paix particulière avec Marie-Thérèse. Ne disait-on pas que Charles VII lui-même, à la veille de sa mort, ouvrait l’oreille à quelque capitulation de ce genre, et Belle-Isle, à son passage à Munich, n’en avait-il pas conçu le soupçon et exprimé la crainte ? Pouvait-on espérer plus de fidélité et de constance d’un enfant de dix-huit ans, soumis à l’influence maternelle d’une fille d’Autriche, entouré des plus lâches conseils, et pénétré lui-même des terreurs qui avaient assiégé le lit de mort de son père ? La suite ne fera que trop voir qu’à Munich la France n’avait pas à craindre de n’être point suivie par le jeune électeur dans des voies pacifiques, mais, au contraire, à le détourner de s’y précipiter tête baissée et sans conditions. Restait Frédéric, de tous nos compagnons d’armes le plus exigeant, le plus impérieux, le plus âpre à sommer à tout moment Louis XV de sa parole, et le plus résolu, en général, à ne pas lâcher prise. Mais celui-là, non plus, si récemment éprouvé par le sort des armes, n’était pas cette fois inaccessible aux conseils de la prudence : là aussi, ce qu’on avait le plus à redouter du caractère qu’on lui connaissait, c’est que, pour peu qu’il y trouvât son avantage, il faussât compagnie à tout le monde sans prévenir personne ; et ses correspondances qu’on va lire nous montreront, par des preuves irrécusables, que la France, en réclamant de lui sa liberté, aurait, non pas devancé, mais simplement pressenti et deviné l’exemple qu’en cachette et à son insu il avait déjà donné lui-même.

Il est donc permis d’affirmer que si, à ce moment critique, le cabinet français eût pris sans précipitation, sans défaillance, en réservant tous ses avantages, l’initiative d’une proposition de paix générale dont la base eût été l’abandon, de sa part, de toute prétention à intervenir dans le choix du nouvel empereur, cet acte d’abnégation eût été approuvé par tous les vrais politiques d’Europe, et sa voix généreuse eût trouvé de l’écho dans le cœur de toutes les populations souffrantes. Loin que la France eût à encourir le reproche d’un égoïste abandon, tous ses alliés lui auraient su gré de les diriger elle-même dans le sens où ils étaient pressés de se porter et d’acquérir, par un sacrifice personnel d’amour-propre, le droit de plaider la cause commune avec plus d’autorité. Ils l’eussent vue figurer bien plus volontiers à leur tête dans un congrès pacifique que sur un champ de bataille. Les conditions d’une telle paix semblaient d’ailleurs (une fois la question épineuse de l’élection impériale écartée) préparées et comme posées d’avance par les événemens mêmes de la guerre, et la situation respective des