terrestres, avec les royaumes de ce monde ; elle redevient une association d’âmes, un empire vraiment œcuménique et tout spirituel. Ici encore, toutes les transformations de notre temps conspirent pour elle ; les dispositions providentielles dont je parlais tout à l’heure lui promettent un pouvoir supérieur à celui qu’elle eut comme état temporel. Par suite du double mouvement démocratique et cosmopolite, il se fait un notable déplacement de la puissance publique. Les pouvoirs d’opinion, les pouvoirs internationaux grandissent aux dépens des pouvoirs officiels et limités dans un lieu : ainsi la presse, les grandes banques européennes, les vastes fédérations ouvrières. Si l’on pouvait doser comme une quantité pondérable la somme de puissance publique existante dans le monde, on trouverait que la franc-maçonnerie, la Bourse de Paris, ou le Times, par exemple, détiennent à des degrés divers une portion de cette puissance égale à celle que détenaient, il y a deux siècles, telle principauté, tel royaume secondaire. D’autre part, l’effet inéluctable de la démocratie est d’avilir les charges publiques, de relever par contre-coup les charges morales et intellectuelles, que l’opinion seule a conférées. Dans la hiérarchie établie par le sentiment général et qui passe peu à peu dans nos mœurs, un grand savant, un grand poète, ont la préséance sur le fonctionnaire officiel, sur le ministre, — qui n’est que ministre. En deux mots, ils ont plus de prestige et plus d’autorité. C’est une des curieuses différences entre notre siècle et ceux qui l’ont précédé, ce changement dans les plateaux de la vieille balance : la grandeur de chair descend, parce qu’elle n’est plus héréditaire, ni même viagère, mais accidentelle ; la grandeur de l’esprit remonte.
Tout cela conspire pour l’église. Incarnée dans le chef suprême qui la représente, elle est la première personne morale et intellectuelle de ce monde. Le pape gagnera tout ce que les rois perdront. Elle est de beaucoup la plus nombreuse et la plus disciplinée des associations internationales ; pour peu qu’elle plonge ses racines dans le sentiment populaire, elle sera le premier pouvoir d’opinion dans l’univers. Elle offre d’avance le type supérieur de gouvernement rêvé par les idéalistes, elle a réalisé depuis longtemps ce qui sera peut-être le dernier terme des évolutions politiques de l’Europe, une république internationale. Il ne tient qu’à elle d’accaparer la plus grande part de cette force insaisissable que la démocratie a sinon créée, du moins centuplée en lui subordonnant toutes les autres, — la force de l’opinion.
Dans ces conditions, que pourrait lui ajouter la possession matérielle d’une ville, d’une province ? Rien, ou un talon d’Achille. Cette possession lui fut jadis nécessaire, parce qu’il n’y avait pas de