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vier aurait beau s’évertuer et se déguiser à lui-même la vérité : il est certain désormais de rencontrer à chaque pas l’hostilité des radicaux, prêts à surprendre ses faiblesses, implacables dans leurs rancunes. Il ne peut pas se flatter de les ramener, et, ce qu’il a de mieux à faire, c’est d’en prendre à son tour son parti, de rallier par une politique modeste si l’on veut, pratique, conciliante, toutes les forces modérées, républicaines et conservatrices, dont l’accord momentané lui a permis de sortir victorieux de ses premières épreuves. C’est sa raison d’être, c’est sa force s’il le veut. La logique des choses lui a créé cette situation, et les partis extrêmes, par leurs emportemens, ont achevé de la préciser, en mettant le ministère dans l’alternative d’accepter la lutte avec eux ou de périr. Si c’est là ce qu’ils ont voulu, ils ont réussi certainement plus encore qu’ils ne le désiraient peut-être. Les radicaux n’ont pas remarqué de plus qu’avec tout ce bruit, ils ne faisaient que rendre plus sensible leur impuissance : car, enfin, que signifie cette opposition tapageuse d’invectives et de suspicions contre un malheureux gouvernement né d’hier ? Leurs chefs, ou du moins quelques-uns de leurs chefs, ont été appelés ; ils ont été chargés de former des ministères, et s’ils n’ont rien fait, s’ils se sont dérobés, c’est qu’évidemment ils se sont sentis dans des conditions où ils ne pouvaient pas prendre le gouvernement du pays. Ils ont avoué leur impuissance ! Et aujourd’hui encore, que sont-ils, ces bruyans radicaux, qui prétendent revendiquer la direction des affaires publiques ? Que représentent-ils ? Le jour où ils ont voulu engager la lutte contre un cabinet qui n’existe que parce qu’il n’y en avait pas d’autre, ils se sont trouvés cent cinquante dans une assemblée de près de six cents membres ! Ils ne sont qu’une minorité, et on ne voit vraiment pas à quel titre le général de cette armée, M. Clemenceau, aurait été appelé à l’Élysée, — à moins que M. Clemenceau ne se crût le droit, au nom d’une minorité, d’imposer la loi aux majorités des assemblées et au pays lui-même. C’est encore une manière radicale d’entendre le régime parlementaire en déguisant l’impuissance sous la violence !

Ce que deviendrai à travers tout cela ce ministère qui vient de naître, qui a déjà subi plusieurs assauts, on ne peut certes le dire. Tout dépend évidemment de la résolution qu’il déploiera dans la guerre ouverte contre lui, de l’esprit de suite qu’il mettra dans les affaires, de la netteté avec laquelle il abordera toutes les questions qu’on se prépare à réveiller ou à soulever pour l’embarrasser. Les radicaux ont commencé une campagne qu’ils ne sont sûrement pas près d’interrompre pour quelques échecs ; à peine le cabinet est-il au monde, ils ont déjà une provision de lois et de projets qui remettraient en doute toute l’organisation du pays. C’est là ce qu’ils appellent la politique républicaine et l’art de gouverner ! Il y avait longtemps en vérité qu’ils n’avaient songé à réformer le sénat, et il fallait bien s’occuper