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de tous, pour gagner l’Allemagne du nord, soit à une armée allemande qui voudrait se porter à la trouée de l’Oise, cette autre route d’invasion.

À la vérité, sur ce point comme sur bien d’autres, tout a étrangement changé. On n’est plus au temps où les Pays-Bas possédés par l’Autriche, toujours convoités et disputés, attiraient les armées et devenaient l’inévitable champ de bataille. La situation n’est plus ce qu’elle était autrefois. Il n’est pas même certain, — à part le respect dû à une neutralité qu’on n’a pas le droit de méconnaître, que nos gouvernemens n’ont jamais méconnue, — il n’est pas certain que la France eût intérêt à distraire une partie de son armée pour la jeter dans la vallée de la Meuse, au risque de se trouver entre les Belges qui résisteraient et une armée allemande qui viendrait l’assaillir en marche. Il n’est pas certain non plus que l’Allemagne elle-même ait un avantage à s’affaiblir sur d’autres points pour prendre la direction de la Meuse, au risque de se heurter, elle aussi, contre les Belges, et de trouver devant elle nos défenses du nord. Pour les deux puissances qui seraient aux prises, l’intérêt ne serait peut-être pas assez évident pour qu’elles pussent risquer un attentat contre une indépendance qui n’inspire que des sympathies ; mais, dans tous les cas, le meilleur moyen de détourner cette éventualité est d’ôter même l’idée de toute tentative en rendant l’opération plus difficile. La Belgique s’est dit qu’elle ne devait pas se borner à se couvrir théoriquement de sa neutralité, qu’elle était tenue de la défendre pour elle et pour les autres. Elle s’est inspirée de ce mot que sir Charles Dilke écrivait récemment dans des études sur l’état de l’Europe, et que le ministre de la guerre du roi Léopold, le général Pontus, répétait à son tour ces jours derniers : « Ce seront les Belges qui paieront les violons s’ils ne se mettent pas en état de défense… » Seulement, il est bien évident que cette extension de la défense, du rôle militaire de la Belgique entraîne une augmentation de l’armée, des effectifs, sans doute même l’établissement du service obligatoire.

Tout cela se tient. Ce sont toutes ces questions aussi complexes que délicates qui s’agitent aujourd’hui dans cette sérieuse discussion du parlement, où les projets militaires ont pour principal adversaire le chef de l’opposition, M. Frère-Orban, et pour défenseurs le chef du cabinet, M. Bernaert, le général Pontus et bien d’autres, Le ministère, appuyé par le sentiment public, aura certainement les fortifications qu’il demande ; il aura plus difficilement le service obligatoire. C’est peut-être une nécessité, si l’on veut avoir, avec une armée de campagne, les ouvrages de la Meuse et le camp de refuge d’Anvers ; ce ne sera pas moins de toute façon, une lourde charge pour la Belgique, et c’est ainsi que les petits pays les mieux faits pour la paix sont en-