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popularité de leurs victoires, de la paix rendue au monde, et M. de Metternich n’était pas le dernier à se complaire dans ce rôle de pacificateur gonflé par le succès, qu’il partageait avec l’empereur Alexandre et le roi Frédéric-Guillaume, avec les Hardenberg et les Castlereagh, avec les Wellington et les Blücher. Il en jouissait pour l’Autriche, largement récompensée de ce qu’elle avait fait pour la cause de la coalition; il en jouissait pour lui-même avec la fatuité d’un homme à bonnes fortunes de la politique. Au fond, cependant, sous cette apparence d’une paix universelle qu’on fêtait, dont on tirait parti et vanité, il y avait bien des élémens confondus, des ressentiment, des mécomptes, des mouvemens d’opinion refoulés plutôt que vaincus, des excitations nationales survivant au combat, des rivalités de princes et de gouvernemens, des conflits latens d’ambitions et d’intérêts. Le succès voilait pour le moment l’incohérence d’une situation créée par la puissance des armes; avant que quelques années fussent écoulées, tout pouvait ramener l’Europe à des crises nouvelles par la lutte renaissante entre les réactions victorieuses et l’esprit du temps.

Ces années du lendemain des grandes guerres, qui vont de 1815 à 1820 et au-delà, sont une phase curieuse de l’histoire. On croyait bien, cette fois, avoir vaincu la révolution française; on l’avait vaincue, en effet, sous la forme guerrière, dans celui qui en avait été le héros couronné et triomphant : on n’en avait pas eu raison autant qu’on le pensait. La révolution, avec ses propagandes et ses conquêtes, n’avait pas passé en vain sur l’Europe. Elle se survivait, pour ainsi dire, même après 1815, par les idées qu’elle avait répandues, par les réformes civiles qu’elle avait laissées sur son passage, par les sentimens qu’elle avait suscités parmi les peuples et jusque par la crainte qu’elle inspirait encore à ceux qui, en se flattant de l’avoir vaincue, n’en étaient pas bien sûrs. Elle avait laissé partout des traces. — En France, une armée d’occupation de cent cinquante mille hommes répondait, pour le moment, de la sûreté matérielle de la royauté restaurée; l’occupation étrangère ne changeait pas la société nouvelle où les Bourbons revenaient régner, elle ne supprimait pas le libéralisme qui semblait renaître après les compressions de l’empire, qui était dans les mœurs, dans les instincts, qui était même sur le trône, au dire de M. de Metternich adressant à Louis XVIII cette curieuse objurgation : « Votre Majesté croit rétablir la monarchie; elle se trompe, elle ne fait que reprendre la révolution en sous-œuvre! » — En Italie, l’Autriche se retrouvait avec sa domination agrandie par l’annexion de Venise au Milanais, avec une prépondérance raffermie et étendue des Alpes au Phare par toutes les restaurations d’ancien régime dans les petits