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une religion de l’irréligion. Ajoutez que l’esprit de discipline pris au régiment a été transporté dans l’armée révolutionnaire. Ces masses profondes obéissent en silence à des ordres. Sur la route de l’inconnu, elles avancent de ce pas lourd, régulier, puissant qui bat le sol comme une machine. La marche a je ne sais quoi d’effrayant et d’inexorable. Elle a ses chansons terribles : « Nous sommes des pétroleurs, inconnus aux hommes. — Nous rendons hommage au pétrole. — Ah ! comme il brûle et comme il éclaire ! Au fond du cœur du peuple, le pétrole brûle en secret ! Vive le pétrole! » Point de sourires dans les rangs! Le « travailleur » allemand n’a pas la gaîté du nôtre ; il a le visage triste, le calme de la colère concentrée, l’air fruste d’un barbare. Un soir, à Berlin, sous les tilleuls, tout près du palais impérial, j’ai vu un ouvrier monter sur un réverbère, briser la glace d’un coup de coude, allumer sa pipe, puis redescendre et continuer son chemin, sans même daigner regarder autour de lui l’effet produit par cette brutalité. Je n’ai jamais traversé les quartiers ouvriers de la capitale prussienne, sans penser que, si jamais cette fourmilière se forme en colonne d’assaut, il ne faudra lui demander ni grâce ni merci. Elle pillera, brûlera, tuera; elle fera table rase. Souhaitons que ces horreurs soient épargnées au monde, mais les maîtres du monde se plaisent à les préparer. Le parti socialiste a une raison d’être certaine dans l’Allemagne, telle que la Prusse l’a faite. Sa doctrine est l’antithèse de la doctrine prussienne de l’état. A l’état qui exploite l’individu à outrance, lui prend des années de sa vie pour le service militaire et sa vie elle-même sur les champs de bataille, il oppose la société travaillant pour vivre et vivant de son travail ; aux idées de nation, de gloire et de guerre, l’idée d’humanité et de paix universelle. Au-dessus des frontières armées, le prolétariat allemand tend la main au prolétariat de tous les peuples ; il a la conduite du parti cosmopolite de la révolution. L’hégémonie des forces anarchistes lui revenait de droit : le quartier-général de l’armée qui prétend établir la paix entre les hommes par la guerre sociale, doit être placé en face et tout près du quartier-général où commande M. de Moltke, ce « penseur des batailles, » ce théoricien, ce moraliste, cet esthéticien de la guerre : M. de Moltke n’a-t-il pas dit un jour que la guerre est la source de toutes les vertus, et que la paix universelle est non pas seulement un rêve, mais un mauvais rêve ?

L’histoire a fait au catholicisme en Allemagne une condition particulière. C’est dans ce pays qu’il a subi le plus rude assaut de la réforme. Il n’y a été ni vaincu complètement, comme en Angleterre ou dans les pays Scandinaves, ni complètement vainqueur, comme en Espagne, en Italie, en Pologne. Quand les luttes religieuses et