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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/162

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force militaire de la France! L’œil a perçu la niaiserie du sentimentalisme germanique, le décousu de l’Autriche, l’instabilité de l’équilibre entre des puissances dont chacune avait ses visées particulières, la faiblesse de notre régime pseudo-militaire. M. de Bismarck a compris qu’à travers ces vanités pouvait passer la fortune de la Prusse, et que la force aurait raison de ces apparences.

Justement le roi Guillaume perfectionnait l’arme et l’aiguisait. Savait-il que bientôt il la mettrait au clair? Peut-être, car les vieux soldats attendent vaguement la guerre à chaque printemps, comme les poètes attendent les violettes et les roses. Combattant de 1814, il vivait dans l’esprit de la revanche inassouvie. Humilié en 1848 par la révolution, en 1850 par l’Autriche, il se fortifiait contre tous les dangers possibles. Puis il était l’héritier d’une race inquiète, toujours menacée et qui le plus souvent a échappé au péril par des conquêtes. Sans doute il avait appris l’histoire de sa famille dans quelqu’un de ces livres populaires que l’on trouve dans les écoles de Prusse. A la fin est la liste des souverains; à côté de chaque nom, un carré et un chiffre : dans le carré, le nombre de milles ajoutés par le prince au territoire ; le chiffre donne le « nombre de têtes » ajoutées à la population. Guillaume Ier laisserait-il le carré vide et l’histoire écrire un zéro à la colonne des têtes? Enfin, il se croyait sincèrement l’élu de la Providence, et la Providence ne pouvait l’avoir élu pour ne rien faire, elle qui, par fonction, a des desseins? Bref, le roi Guillaume était une force disponible, et M. de Bismarck une activité qui cherchait à s’employer. L’ébranlement de cette force par cette activité a bouleversé le monde.

Le don d’agir uni au don de voir, le plaisir de l’action joint au goût et à la faculté de l’observation profonde, voilà M. de Bismarck. S’il était né roi, son cheval, comme jadis le cheval de Louis XI ou celui du grand Frédéric, porterait tout son conseil. On saurait par ses ordres qu’il a délibéré. Après la méditation solitaire du cabinet, l’acte éclaterait tout d’un coup. Né sujet, il a dû discuter avec son maître, longuement, péniblement, avec des caresses et des soumissions, mais avec des colères aussi et la rage interne. Vingt fois, il a failli quitter la partie et, comme il dit, se retirer « sous le canon de Schonhausen. » Du moins, il entend n’être le serviteur que de son roi, le courtisan que de son empereur. Il n’a jamais flatté la foule ni enjôlé un parlement. Ironie, sarcasmes, sourires, mépris, menaces composent son éloquence parlementaire. A peine, au lendemain des grands succès, après Sadowa quand il a fait la confédération de l’Allemagne du Nord, après Sedan quand il a fait l’empire, a-t-il condescendu à quelque bienveillance : la moindre opposition réveille en lui le lutteur des temps de conflit, et de