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de fixer le contingent. Le Reichstag ne se résout pas volontiers à ce suicide par persuasion, et voici le défaut capital, le vice irrémédiable de la constitution; le parlement d’Allemagne n’a qu’un moyen de manifester, je ne dirai pas sa liberté, mais son existence. Ce moyen, c’est le conflit.

Pour éviter ce conflit, ou tout au moins pour le retarder, M. de Bismarck applique à la politique intérieure la méthode de la diplomatie. Il négocie avec les divers partis, les sépare ou les réunit, selon l’opportunité. Pas un seul n’a son estime ni sa confiance, et il leur a fait sentir tour à tour ses rigueurs; mais il ne peut, si puissant qu’il soit, les tenir devant lui à l’état de coalition permanente, et, comme il est en guerre nécessaire avec les protestataires, les socialistes et les progressistes, il essaie de se réconcilier avec les catholiques. Pour cela, il a dépensé plus de patience et d’habileté, employé des procédés plus inattendus que dans sa politique européenne. Il a étonné le monde par le spectacle de la réconciliation du pape et de l’empereur, qui rappelle les plus célèbres scènes de l’histoire du moyen âge. Je ne crois point me tromper en disant que le chancelier, qui a de la grandeur dans l’imagination, a été séduit par l’étrangeté même du coup de théâtre. Puis entre ces deux pouvoirs, l’église et l’empire, même l’empire protestant d’un Hohenzollern, il y a des affinités secrètes : tous les deux représentent la persistance et la résistance du passé. Au-dessus de l’Europe travaillée dans les profondeurs par la révolution, ils s’élèvent comme deux sommets, éclairés par les derniers rayons d’un soleil qui descend vers l’abîme. Mais M. de Bismarck ne perd jamais de vue le réel, et sa haute fantaisie est inspirée par les nécessités de la vie pratique ; il n’aurait point pris le successeur de Grégoire VII pour arbitre dans l’affaire des Carolines, s’il n’avait voulu faire pièce à M. Windthorst, et au parti catholique.

Sans doute, ce n’est pas une méthode normale de gouvernement que la méthode diplomatique; elle ne résout rien, parce qu’elle ne tue personne. Faire une alliance étroite entre la royauté prussienne qui est de droit divin et la royauté italienne qui est de droit révolutionnaire, accabler l’Autriche sous ces forces combinées, puis confondre dans une entente cordiale l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, c’est un chef-d’œuvre; mais, du temps où M. de Bismarck combattait les catholiques avec l’aide des libéraux, il n’a pas mené ceux-ci à l’assaut des églises. La lutte n’a point jeté par terre des blessés ni des morts ; les catholiques n’ont point subi le fait accompli d’une victoire évidente reconnue par un traité. Lorsque la réconciliation sera faite entre l’église et le chancelier, ils n’iront point de conserve attaquer l’armée socialiste dans ses repaires ; aucune