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tenues en chartre privée, se mouillant au lavoir et rinçant le linge, tandis qu’il leur serait si doux de courir dans les bois, sur l’herbe nouvelle, en chantant des romances à deux voix. Et la morale, me dira-t-on ? J’avoue que je l’avais oubliée. Elle a ses droits, elle est de devoir forcé dans les obligations de la vie sociale, et l’on y pense dans la maison des diaconesses.

Comme pour les enfans du disciplinaire, le temps des jeunes filles de la retenue est divisé selon une règle invariable ; elles ne sont astreintes qu’à deux heures de classe, le reste de la journée appartient au travail, sauf les instans de repas et de repos. Les récréations se prennent dans un petit préau assez maussade, sans verdure, grossièrement sablé et qui rappelle la prison plus que je ne voudrais. Pour ces malheureuses, point de promenade ; jamais on ne les conduit dans le bois de Vincennes, ou sur les bords de la Marne ; elles sont détenues et ne franchissent le seuil de la maison qu’à l’heure de leur libération. De quatorze à vingt ans, pour des corps élastiques et vigoureux, c’est dur, c’est très dur, et peut-être cette claustration, que je trouve excessive, développe-t-elle la rêverie, qui n’a jamais été bonne conseillère pour les jeunes cervelles. Si du moins on pouvait leur imposer de ces exercices violens qui reposent d’autant mieux l’esprit qu’ils ont plus fatigué les muscles, je crois que l’on n’aurait pas à regretter la dépense que nécessiterait une installation gymnastique, car l’hygiène morale y trouverait son compte. C’est de l’argent bien placé, celui qui permet d’apaiser des pensées mauvaises et de calmer de dangereuses effervescences. Peut-être ne suis-je pas assez sévère, mais le sentiment qui m’a dominé au cours de ma visite est celui de la commisération. Tout a été coupable en ces pauvres filles ; il n’est pas de honte qu’elles n’aient bue, il n’est pas de pudeur qu’elles n’aient souillée ; mais la responsabilité absolue n’en remonte pas jusqu’à elles, et il m’est impossible de ne point penser que s’il est urgent de les relever, de les purifier, de leur ouvrir les bonnes portes de la vie, il n’est peut-être pas juste de les punir en les sevrant de tous les honnêtes plaisirs de leur âge.

Elles sont intelligemment soumises au système Auburnien. Elles travaillent en commun à une œuvre commune où chacune a son emploi déterminé, mais elles dorment dans des chambres particulières où elles se ressaisissent, échappent à la discipline uniforme qui les généralise, se retrouvent elles-mêmes et peuvent s’individualiser, seule à seule avec leur conscience. Cela est très bien et de haute moralité. J’ai visité toutes les chambres, l’une après l’autre ; elles sont irréprochables. Le petit lit est propret et convenablement garni ; à côté, je vois avec plaisir, presque avec gratitude, la table