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vis-à-vis de ce repentant couronné qui « s’excuse, » et comme il lui demande raison de son changement, le tsar fait sa confession avec candeur: « Vous ne comprenez pas pourquoi je ne suis plus le même, je vais vous le dire. Entre 1813 et 1820, il s’est écoulé sept ans, la longueur d’un siècle; en 1820, je ne ferais à aucun prix ce que j’ai fait en 1813. Ce n’est pas vous qui avez changé, c’est moi. Vous n’avez à vous repentir de rien, je n’en puis dire autant. » M. de Metternich règle aussi les comptes de M. Capo d’Istria : « J’ai passé ma matinée, raconte-t-il, à feuilleter pour ainsi dire le chef du cabinet russe; qu’on juge de ma surprise: il n’a pas fait une seule déclaration apocalyptique! Cela n’est point naturel, mais cela n’est pas moins vrai... » Et il ajoute dédaigneusement : « Tel maître, tel valet!.. » Ce n’est pas qu’il n’ait plus d’une fois encore à batailler avec le ministre russe, qu’il finit par appeler un « fou fieffé et complet; » mais il avait reconquis ou il croyait avoir reconquis l’empereur. Il avait avec lui de longs et familiers entretiens le soir, en tête-à-tête, entre deux tasses de thé, et il en profitait, il l’avoue, pour ruiner l’influence de M. Capo d’Istria auprès du tsar, qui ne défendait plus qu’à demi son ministre.

Une fois maître, au moins pour le moment, de l’esprit d’Alexandre, assuré de la complicité de la Prusse, persuadé que la France ne tarderait pas à se rallier à tout ce qu’on ferait, peu inquiet des réserves de l’Angleterre, M. de Metternich n’hésitait plus. Il avait gagné sa partie diplomatique à Troppau. A son instigation, on avait décidé à trois, Autriche, Prusse et Russie, qu’on ne reconnaîtrait pas la révolution napolitaine, pas plus, du reste, que les autres révolutions, qu’on emploierait au besoin « l’action tant morale que matérielle pour rendre au pouvoir légitime sa liberté,.. et à l’Europe des gages de repos et de stabilité... » On avait, en même temps, adressé au roi de Naples l’invitation de venir se joindre aux autres souverains pour « délibérer sur les intérêts de son royaume, » et on lui avait donné rendez-vous non plus à Troppau, mais à Laybach. Le roi, qui avait capitulé devant la révolution et réuni un parlement, serait-il libre de se rendre à l’appel qu’on lui adressait? Ne serait-il pas retenu comme un otage par les révolutionnaires menacés? On ne le savait pas encore; l’intervention restait dans tous les cas décidée. C’est ce que M. de Metternich appelle « le premier acte du drame. » Le second acte est à Laybach, où le congrès va se retrouver sous une forme nouvelle, où les souverains se rendent en quittant Troppau pour passer à l’action. Le vieux roi Ferdinand, après avoir promis à ses Napolitains tout ce qu’ils ont voulu, même de défendre auprès des souverains la constitution espagnole, a pu partir, laissant son fils comme régent à