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La douleur de ses amis, celle de Rome entière éclata en face de ce cadavre, près duquel, par une inspiration touchante, on avait exposé l’un de ses derniers ouvrages, la Transfiguration, qui n’avait pas encore quitté son atelier. Les témoignages de l’effet produit par cette perte, qui fut véritablement un deuil public, se retrouvent dans un grand nombre d’écrits de ce temps. Des lettrés, des poètes, les artistes et les grands personnages de la cour papale sont unanimes dans l’expression de leurs regrets, et des crevasses s’étant produites à ce moment même dans le loges du Vatican, quelques-uns de ceux qui pleuraient le grand artiste virent dans cette coïncidence un de ces prodiges qui, dans l’antiquité, passaient pour accompagner la mort des êtres divins.


II.

On a pu le voir par ce simple récit, cette vie tout entière s’est écoulée heureuse, admirablement servie par les événemens, et avec ses dons naturels, son aimable humeur, son intelligence aussi ouverte que souple, Raphaël a tiré un profit certain des différens milieux dans lesquels il a vécu. Sans aucun de ces arrêts ou de ces retours que des génies peut-être aussi richement doués, mais moins équilibrés, nous présentent dans le cours de leur carrière, il se développe progressivement, d’une façon régulière et logique. En nous donnant une image fidèle de ces milieux divers, en retraçant dans ses traits les plus caractéristiques le mouvement intellectuel de cette époque, en nous faisant connaître les hommes éminens avec lesquels Raphaël s’est trouvé en relations, M. Müntz a rendu un service signalé à la critique. Grâce à lui, nous pouvons désormais suivre le maître à travers les phases successives de cette existence pendant laquelle, soumis tour à tour aux influences les plus dissemblables, il a toujours su bénéficier de toutes.

On imaginerait difficilement, en effet, un concours de circonstances plus favorables, une gradation qui semble mieux ménagée pour l’éclosion et le plein épanouissement de ce merveilleux génie. Nous avons dit ce qu’avait été l’enfance et la jeunesse de ce fils de peintre, sa vocation précoce dans cette petite ville d’Urbin, où le palais de souverains, qui deviendront ses protecteurs, lui offre des ouvrages choisis des artistes les plus célèbres de ce temps, où il trouve chez son père lui-même, avec ses premières leçons, des exemples de droiture, de travail et de modestie peut-être plus précieux encore. Avec Timoteo Viti d’abord ; puis, à Pérouse et à Sienne, avec Pérugin et Pinturicchio, nous avons vu son talent croître peu à peu, jusqu’au moment où, arrivant à Florence, il va trouver des enseignemens à la fois plus nombreux et plus élevés.