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M. W. James, croit de même que l’esprit n’a aucun pouvoir sur la qualité des représentations, mais qu’il en a un sur leur intensité, si bien que l’esprit pourrait, par l’attention, augmenter l’intensité d’une représentation et lui assurer la prééminence. Une plaque sonore n’a point de note propre par elle-même; il est presque impossible, en la raclant avec l’archet, de reproduire deux fois une note identique ; le nombre des figures de sable qu’elle fournira est aussi inépuisable que les fantaisies qui peuvent naître dans un cerveau ; mais le doigt du physicien, pressant la plaque ici ou là, détermine des points nodaux qui impriment au sable des figures d’une fixité relative : ainsi l’attention, en appuyant et en accentuant, fixerait les flottans tourbillons de l’écorce cérébrale.

Il y a assurément dans ces théories, qui rappellent le progrès de Condillac à Laromiguière, une grande part de vérité; mais il faut s’entendre sur la vraie nature de la force déployée dans l’attention ou, si on préfère ce terme, dans l’aperception. Nous ne saurions la considérer, avec MM. Renouvier et James, comme une création du libre arbitre. M. Wundt lui-même nous paraît opposer à l’excès l’aperception libre et les lois mécaniques qui associent nécessairement les sensations entre elles. En effet, il attribue à « l’acte d’aperception » le pouvoir mystérieux de produire spontanément des liaisons d’idées irréductibles aux lois fatales de l’association par ressemblance et contiguïté. — Je suppose, dit-il, le tic-tac d’un métronome se produisant à intervalles réguliers et avec une intensité toujours égale ; en ce cas, tout le monde sait que nous pouvons grouper deux par deux, trois par trois, quatre par quatre, les sensations successives : « ce groupement volontaire est dû à l’aperception. » — Selon nous, ce groupement ne diffère pas des effets habituels et nécessaires de l’association : nous associons un souvenir de rythme, avec temps forts et temps faibles, aux battemens indifférens du métronome, d’autant plus que tous nos mouvemens et toutes nos réactions cérébrales tendent, en vertu même de la constitution des organes, à prendre une forme rythmée comme le balancement de notre jambe. Au reste, nous avons l’habitude de grouper toujours nos sensations, ce qui est pour nous une économie de force et d’attention.

Les mêmes remarques s’appliquent à un autre exemple de M. Wundt : — « En chemin de fer, dit-il, nous pouvons transformer en un air quelconque le bruit régulier des roues ; nous modifions donc les sensations par l’aperception. » — Non, mais nous enchevêtrons un souvenir d’air, une association de notes par contiguïté avec le dessin rythmique des bruits de roue : un enchevêtrement de plusieurs lignes ou de plusieurs associations n’exige pas un mode de liaison supérieur à l’association ordinaire, ni un acte vraiment libre.