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II.

Alors la vieille querelle, quelque temps assoupie, se réveilla. Guerre de plume, c’est-à-dire échange de notes diplomatiques, de mémoires justificatifs, de pamphlets. Guerre d’épée; car, en Italie surtout, les deux factions guelfe et gibeline, papale et impériale, n’avaient jamais désarmé et n’attendaient qu’un signal. A Rome même, les Frangipani, cliens des Hohenstaufen, crénelèrent leurs maisons. Le jour de Pâques, dans l’église Saint-Pierre, comme le pape essayait de prêcher contre l’empereur, il manqua d’être écharpé par le peuple. Il dut s’enfuir ; mais ce n’est pas quand le pape était hors de Rome qu’il était le moins redoutable.

Déjà la main de l’église, cette main dont Frédéric avait éprouvé, une première fois à son avantage, la redoutable puissance, commençait à se faire sentir au nord et au sud des Alpes. En Allemagne, en Italie, se manifestaient des symptômes de défection. Là, le propre fils de l’empereur, celui qu’il avait fait roi des Romains, prenait une attitude suspecte ; ici, le père de la nouvelle impératrice, Jean de Brienne, aventurier famélique, ambitieux et dévot, se laissait gagner à un projet d’invasion dans le royaume des Deux-Siciles.

Que pouvait faire Frédéric II? Contre-miner toutes ces mines, courir sur le Rhin et sur le Pô, lutter là-bas avec l’inconstante féodalité allemande, ici avec l’indomptable ténacité des cités lombardes, consumer des mois et des années à assiéger des villes et des châteaux, se perdre dans les petites querelles des guelfes et des gibelins, des comtes et des chevaliers, des évêques et de leurs bourgeois ? Mais c’eût été reprendre la tâche à laquelle s’étaient épuisés tous les césars allemands, s’user comme eux à cette toile de Pénélope dont pas une dynastie n’avait vu la fin.

M. Jules Zeller a très bien saisi l’importance de la résolution que prit alors Frédéric. Il n’hésite pas à y reconnaître « un coup de génie. » Abandonnant l’Allemagne et l’Italie aux intrigues qui s’y tramaient, Frédéric compléta en toute hâte ses préparatifs de départ et cingla hardiment vers la Syrie. Il se trouvait dans l’étrange situation d’un prince à la fois croisé et excommunié, digne de toute la protection de l’église et livré à toutes ses colères, exposant sa vie pour le Christ et frappé des anathèmes de son vicaire.

Du coup, il y eut un revirement dans l’opinion européenne. Ce que pensèrent tous les gens pieux, on le voit par ce que Louis IX osera dire plus tard, reprochant hautement au pape d’avoir attaqué les domaines et les droits, sacrés pour tous, d’un prince parti pour