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partie des fantômes, des êtres d’imagination. Elles sont surtout des puissances d’opinion. Les moyens matériels, pour chacune, sont presque nuls. C’est pourquoi l’une et l’autre se sont exténuées et ruinées à une tâche irréalisable. Comparez ce qui se passe en France à la même époque : les moyens dont disposent nos rois sont médiocres, mais le but est également modeste, tout humain, tout pratique. Chaque effort donne un résultat, et les résultats accumulés d’année en année enfantent lentement une grande révolution. Aussi, à la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe quand il n’y a plus d’empire allemand, il y a un royaume de France : le soufflet d’un agent de Philippe le Bel a cette conséquence que n’ont pu produire toutes les chevauchées des Hohenstaufen : l’effondrement de la papauté.

Frédéric a été un empereur romain bien plus qu’un empereur allemand. Le caractère de son pouvoir est avant tout universel, cosmopolite, comme la papauté elle-même. Cela tient autant à sa naissance et à son éducation italiennes qu’à sa qualité de chef du saint-empire. C’est en Allemagne qu’il a passé la plus petite partie de sa vie ; il y est allé d’abord pour se faire élire ; il y est retourné à plusieurs reprises, mais toujours pour peu de temps ; il se hâte de s’y faire suppléer par un lieutenant, d’abord par son fils Henri, ensuite par son fils Conrad. Sa politique là-bas est surtout une politique d’abstention, presque d’abdication. On sent qu’à part ses domaines héréditaires de Souabe, rien ne l’y intéresse particulièrement. C’est sous le règne de cet empereur, à certains égards le plus puissant de tous les empereurs, que commencent la dissolution de la monarchie tudesque et le morcellement de l’Allemagne. C’est alors que les duchés primitifs. Saxe, Franconie, Bavière, même la Souabe, se morcellent en comtés, baronnies, chevaleries, « aspirant déjà à l’indépendance absolue que devaient consacrer, quatre cents ans plus tard, les traités de Westphalie. » L’administration de Frédéric II n’y est peut-être pas très intelligente : longtemps il s’obstine à comprimer l’aspiration des villes à l’autonomie communale ; toutes ses préférences sont pour cette féodalité laïque et ecclésiastique, qui à la fin séparera si complètement ses intérêts de ceux de sa maison, et qui assistera indifférente à ses dernières luttes et à l’extermination des siens. Ses lieutenans en Allemagne, Henri d’abord, Conrad ensuite, précisément parce qu’ils résident dans le pays, semblent avoir plus que lui le sens des choses germaniques, l’instinct du véritable intérêt impérial : c’est malgré lui qu’ils accordent aux villes des chartes d’émancipation. À dater de 1239, en présence de l’ingratitude manifeste des princes et des prélats allemands, Frédéric Il se rallie également à cette politique. On voit cependant qu’elle répugne à ses instincts d’empereur absolu qui, dans les traditions