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ne tardait pas à se dévoiler. L’empereur Nicolas, bien plus jeune et moins chimérique qu’Alexandre, portait aux affaires le sentiment altier de son autocratie, l’orgueil de sa force, l’antipathie dédaigneuse du Russe contre le Turc, et une certaine impatience d’action, ne fût-ce que pour secouer les pénibles souvenirs des scènes qui avaient accompagné son avènement. — De cet ensemble de choses, changement de règne en Russie, révolutions d’opinion dans d’autres pays, progrès de l’insurrection grecque, que résultait-il? Les événemens se précipitaient. C’était tout au moins le commencement d’une situation nouvelle, d’une sorte de drame diplomatique et militaire qui débutait par un acte assez inoffensif pour arriver bientôt à la guerre de 1828. — Premier acte : le duc de Wellington, envoyé à Saint-Pétersbourg, signe, le 4 avril 1826, avec la Russie, un protocole qui trace un programme de pacification de la Grèce laissée sous la suzeraineté du sultan. — Deuxième acte : le protocole du 4 avril, qui est resté d’abord limité entre l’Angleterre et la Russie, qui a échoué devant la force d’inertie de la Porte et en partie par l’opposition de l’Autriche, devient bientôt, par l’accession de la France, la triple alliance du 6 juillet 1827. Ici se dessine une véritable médiation, à l’appui de laquelle les trois puissances doivent envoyer leurs vaisseaux dans l’archipel, et, comme il arrive souvent, de la présence des forces navales naît l’imprévu. L’imprévu, c’est le combat du 20 octobre 1827 à Navarin, la destruction de la flotte turque par les escadres alliées en pleine paix, — Ce qui s’appelle une glorieuse victoire à Pétersbourg et à Paris, un « malencontreux événement » à Londres, une « catastrophe » et un « attentat » à Vienne. C’est le troisième acte. — En réalité. Navarin n’est que le préliminaire de l’action décisive et fraie le chemin à la Russie, qui entre plus directement en scène. Tandis que la France entreprend sa chevaleresque expédition de Morée, la Russie, elle, ouvre la vraie guerre contre la Porte, guerre qui est d’abord peu brillante en 1828, qui se relève dans la seconde campagne de 1829, pour se dénouer par une paix utile au tsar et par l’émancipation définitive de la Grèce. Je ne fais que résumer cette action sans cesse entrecoupée où se croisent les ambitions, les intrigues, les faux calculs et même les chimères.

L’originalité de M. de Metternich est de rester seul avec sa politique dans cette mêlée orientale de quelques années, d’opposer à tous les entraînemens et à toutes les contradictions une invariable fixité d’idées. Dans cet étrange drame où tout s’enchaîne, la Russie, au fond, veut la guerre, non pas précisément pour détruire l’empire ottoman, mais pour arriver à l’asservir et à le dominer ; l’Angleterre de Canning suit la Russie, en croyant la conduire ou en se flattant de la contenir ; la France se laisse aller à ses ardeurs chevaleresques,