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Tout, au contraire, avait été préparé par les journaux révolutionnaires, qui n’avaient pas manqué d’indiquer les heures, l’itinéraire, de donner les mots d’ordre, — et le programme a été fidèlement suivi. La manifestation a été complète. Un autre homme aurait compris sans doute que ce qu’il y avait de mieux était d’éviter le bruit, de partir sans éclat, comme un bon soldat qui se rend à son poste, ministre la veille, commandant d’une division ou d’un corps d’armée le lendemain. Mais M. le général Boulanger ne peut rien faire comme les autres : il aime le bruit et le panache, il a été satisfait!

C’est bien certain, l’ancien ministre de la guerre a eu sa scène désormais historique, ses adieux de Fontainebleau! M. le général Boulanger a eu l’inestimable avantage d’être suivi, escorté, coudoyé et un peu étouffé par des milliers d’énergumènes tout prêts à dételer sa voiture et à le porter en triomphe sur l’Arc-de-l’Étoile en passant par l’Elysée. La gare où il s’est rendu a été envahie par la foule, qui s’est précipitée de toutes parts, prenant d’assaut voitures et locomotives, tapageant et hurlant, brisant les barrières, voulant à tout prix retenir son favori. Il en est résulté que, pendant quelques heures, pour le bon plaisir d’une multitude désordonnée, tous les services publics ont été interrompus. Aucun train n’a pu arriver jusqu’à Paris, aucun train n’a pu partir. Postes, voyageurs, tout a été forcément retardé, jusqu’à ce qu’enfin on ait pu dérober l’ancien ministre de la guerre à son peuple idolâtre et le conduire à la première station de son voyage, — à Charenton : c’était fort heureux ! Que la foule ait ses entraînemens, qu’elle cède aux excitations souvent intéressées des partis qui se servent de tous les prétextes, qui cherchent toutes les occasions de provoquer des manifestations tumultueuses, tout cela est possible. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que le héros de telles scènes soit un ministre de la veille, un commandant de corps d’armée, un fonctionnaire de l’état, que ce général ait à ses côtés d’autres officiers qui ne sont pas là pour leur service, des députés, — et que tous ces hommes publics, qui ont apparemment un caractère sérieux, semblent encourager par leur accueil, par leur attitude, des manifestations contre les pouvoirs réguliers, contre M. le président de la république lui-même. L’ancien ministre de la guerre ne pouvait l’empêcher, dira-t-on ; il pouvait tout au moins l’éviter ou ne pas s’y prêter. Il est vrai qu’il n’aurait pas eu alors cette retentissante représentation donnée en son honneur par quelques naïfs, beaucoup de curieux, et une multitude de braillards. Le ministre n’a pas manqué sa sortie : il a salué la foule ; il est toujours prêt à dialoguer avec tout le monde ! c’est là ce qu’on appelle dans le langage du jour la popularité de M. le général Boulanger !

Il ne faut pas sans doute trop exagérer, et se hâter de prendre un vacarme de rue pour une réalité publique absolument redoutable. Le héros des scènes de la gare de Lyon n’en est pas à disposer de la