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les séides de M. le général Boulanger, — et non plus seulement les coureurs de revues, mais des députés sachant apparemment ce qu’ils disent, — que l’armée française tout entière se résume et se personnifie dans l’ancien ministre de la guerre. Devant lui tout doit s’effacer! il est un personnage à part, et c’est tout au plus si un des plus beaux commandemens n’est pas considéré comme une disgrâce pour lui. Que M. le général Boulanger, tant qu’il a été ministre de la guerre, ait fait son devoir, qu’il se soit occupé activement de l’armée, des intérêts qui lui étaient confiés, c’est possible. Il n’a fait après tout que ce qu’il devait; mais il n’est pas le seul qui depuis quinze ans se soit voué avec une passion généreuse à la reconstitution des forces militaires de la France, à l’organisation de la défense nationale. Il y a eu avant lui, il y aura après lui d’autres chefs qui n’ont pas de moins brillans services, qui, en sachant éviter le bruit, sont faits pour conduire nos soldats. M. le général Boulanger n’a eu qu’une originalité, c’est d’introduire la politique, l’esprit chimérique de radicalisme et de démocratie à outrance dans les affaires militaires, et c’est justement en cela qu’il représente moins que tout autre une armée fidèle à ses devoirs, sage, laborieuse, disciplinée, toujours prête à servir sans s’occuper jamais de politique et de manifestations, — une armée qui ne peut que souffrir de voir un de ses chefs travesti en César d’aventure.

Au fond, il faut dire les choses comme elles sont, toutes ces scènes sont d’un mauvais caractère pour l’armée comme pour le pays. Et lorsque les radicaux, sentant le danger, déconcertés par les ovations de la gare de Lyon, commencent à désavouer l’ancien ministre de la guerre, ils ne s’aperçoivent pas qu’ils désavouent ce qu’ils ont fait eux-mêmes. Ce sont les radicaux qui ont mis sur la scène M. le général Boulanger, qui lui ont fait une popularité en échange de ses services politiques et de ses complicités, qui l’ont soutenu et encouragé dans toutes ses fantaisies, qui l’ont proclamé jusqu’au bout l’homme indispensable, et presque providentiel. C’est pour leur plaire, pour ne point se brouiller avec eux, que M. de Freycinet n’a pas osé faire un ministère sans M. le général Boulanger, et le nouveau président du conseil, M. Bouvier, a pu l’autre jour leur dire d’un accent railleur et victorieux que, s’il rencontrait de leur part une opposition si acerbe et si implacable, c’était parce qu’il avait eu la hardiesse de se passer de M. le général Boulanger, de le « faire rentrer dans le rang. » M. le général Boulanger commence à perdre leur faveur; il a « trop aimé le bruit, » dit M. Clemenceau, qui ne s’en aperçoit qu’aujourd’hui ; il a été leur homme, leur providence, tant qu’il s’est prêté à leurs passions et qu’ils ont pu se servir de lui. Voilà la question !

Les radicaux sont étranges. Ils parlent des malaises du pays, qu’ils attribuent plaisamment au nouveau ministère, aux « menées monarchistes et cléricales, » à tout excepté à eux-mêmes et à leur politique.