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moins le courage de leur tenir tête. La peur le prit, soit d’être délogé des positions qu’il occupait entre le Mein et le Rhin, soit d’être tourné et de voir couper ses communications avec le fleuve, et il se décida à le repasser. Il eut beau dire et proclamer que ce mouvement rétrograde n’était qu’une manœuvre stratégique destinée à mieux appuyer et à concentrer ses forces, et promettre qu’au premier jour on le verrait reparaître sur l’autre rive, personne ne s’y méprit : c’était l’abandon ; et tout le prestige reconquis par deux victoires fut à l’instant évanoui. Francfort ouvert aux armées autrichiennes, c’était le diadème impérial mis sur le front de Marie-Thérèse.

Je crois, en vérité, qu’il n’y avait que d’Argenson qui voulût en douter ou du moins en faire encore le semblant, car on se demande si c’était sérieusement qu’il écrivait à son représentant à Francfort ces surprenantes paroles : — « Il paraît que le roi de Pologne, ayant toujours regardé le séjour de l’armée de France près de Francfort comme un obstacle au succès des vues qu’il a formées dès le commencement pour la couronne impériale, va présentement se déclarer candidat. » — Était-ce sans sourire aussi qu’il ajoutait : « Il nous avait toujours donné le conseil de ne pas paraître vouloir intimider les électeurs. Nous allons voir ce qu’il y avait de vrai-Les bons patriotes allemands ne peuvent plus hésiter entre le roi de Pologne et le grand-duc, qui va regarder l’empire comme sa conquête. » — En tout cas, si son illusion était sincère, elle n’était pas partagée à côté de lui, même dans sa plus intime confidence : — « Vous allez donc, Monseigneur, lui écrivait Voltaire, faire le siège d’Oudenarde ? mais on dit que tout va mal en Allemagne et que vous allez repasser le Rhin. Si cela est, vous avez quitté le solide pour le brillant, et ce n’était pas peine de donner l’exclusion au grand-duc pour le voir empereur dans trois mois, mais ce n’est pas mon affaire et je n’ai qu’à vous chanter[1]. »

Effectivement, à peine la nouvelle de la jonction des deux généraux autrichiens était-elle parvenue à Vienne, et avant même qu’on y connût la retraite des Français qui en était l’infaillible conséquence, le grand-duc demandait à venir prendre le commandement des deux armées réunies ; Marie-Thérèse, bien que n’ayant plus confiance depuis longtemps dans ses talens militaires et n’aimant pas à les mettre à l’épreuve, ne chercha pas à le retenir, sûre qu’il n’avait plus que des lauriers à recueillir. Elle-même faisait déjà tous ses préparatifs pour le suivre dès que l’élection serait connue,

  1. Pol. Corr., 8, 20, 27, 31 juillet 1745, t. IV, p. 209, 221, 237, 244. — D’Argenson à Saint-Severin, ministre à Francfort, 2 août ; à Chavigny, 3 août 1713. (Correspondance d’Allemagne et de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.) — Voltaire à d’Argenson. (Correspondance générale, 8 juillet 1745.)