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en effet leurs écrivains se sont souvent servi. Les païens non plus, surtout ceux qui s’étaient familiarisés avec la philosophie, ne répugnaient pas à l’employer. Chacun, sans doute, l’entendait dans un sens un peu différent : pour les chrétiens il désignait le Dieu unique et solitaire, qui n’en souffre aucun autre près de lui ; les païens y voyaient plutôt une sorte d’être collectif formé de la réunion de tous les dieux qu’on adorait dans le monde. Mais, si le sens n’était pas le même, le mot était semblable, et l’on obtenait ainsi cette apparence d’unité qu’on cherchait. C’en était assez pour recommander aux esprits sages une combinaison qui paraissait supprimer, dans un empire si malade, des causes de divisions et de luttes. Mais d’autres motifs rendirent son succès plus sûr. En face du christianisme, qui prenait tous les jours de nouvelles forces, les partisans de la religion nationale sentaient bien que l’ancienne mythologie était difficile à défendre ; ils éprouvaient le besoin d’élargir le terrain sur lequel allait se livrer le dernier combat. La conception nouvelle de la divinité, plus élevée, plus souple, plus sérieuse, leur en offrait le moyen ; ils le saisirent avec avidité. Symmaque, en plaidant la cause de l’autel de la Victoire, parle le moins possible de Jupiter et de Mars ; il laisse entendre qu’il ne faut pas tenir compte des apparences, que, sous des noms différens, tout le monde honore le même Dieu. « Qu’importe, dit-il, par quels moyens chacun cherche la vérité : un seul chemin ne peut suffire pour arriver à ce grand mystère : Uno itinere non polestt perveniri ad tam grande secretum. » Le païen Maxime de Madaura, écrivant à saint Augustin, termine sa lettre par ces mots, fort admirés de Voltaire : « Que les dieux le conservent, ces dieux par lesquels nous tous, qui sommes sur la terre, nous honorons et nous adorons de mille manières différentes, mais dans un même accord, le Père commun de tous les mortels ! » Le fond de tous les cultes est donc semblable, et les dieux des religions diverses se confondent dans un Dieu unique qui les comprend tous : c’est la divinité qui est dans le ciel : Divinitas in sede cœlesti.

Cette expression, nous la trouvons dans l’édit de Milan, et l’on ne peut nier qu’elle ne soit empruntée à la phraséologie ordinaire de cette école païenne. Qu’en faut-il conclure ? La première pensée qui vienne à l’esprit, c’est que Constantin ne se rendait pas encore bien compte de ses croyances, et qu’il mêlait, sans le savoir, à sa foi nouvelle des lambeaux de l’ancienne. Quelque vraisemblable que paraisse d’abord cette opinion, j’ai peine à la croire vraie. Songeons que, depuis la bataille du pont Milvius, il s’était écoulé plus d’un an. En admettant même, ce que pour ma part je crois difficile de supposer, que la première fois qu’il invoqua le Dieu des