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être soumise. Sa complaisance à toute épreuve avait ce résultat fâcheux d’accoutumer Constantin à être le maître dans les choses religieuses comme en tout le reste. Par cette pente, sur laquelle glisse le pouvoir absolu, il devait être tenté d’étendre à tous les cultes l’autorité que l’un d’eux lui accordait sur lui, et finir par les mettre tous sous le même joug.

C’était un grand péril pour l’église, accoutumée jusqu’alors à se gouverner elle-même, et qui s’en était bien trouvée. Cependant, il ne semble pas qu’elle ait opposé d’abord quelque résistance aux prétentions de l’empereur. Il venait d’arrêter la persécution, il lui faisait rendre ses biens confisqués, il l’enrichissait de ses libéralités, il lui accordait d’importans privilèges ; c’était un libérateur et un bienfaiteur : pouvait-elle sans ingratitude lui témoigner quelque défiance, et mettre moins d’empressement que les païens à faire ses volontés ? Les évêques, dès le premier jour, furent gagnés ; ils avaient résisté dix ans à toutes les menaces, ils ne tinrent pas contre quelques égards et quelques faveurs. Constantin les faisait venir à sa cour, et, pour leur rendre le voyage plus commode, il mettait à leur disposition la poste impériale, qui avait été réservée jusque-là pour les plus grands personnages[1]. Il leur faisait payer des indemnités (annonee) pendant tout le temps qu’il les retenait loin de leur pays. Il les recevait dans son palais et les invitait à sa tabler C’étaient souvent des gens très simples, qui venaient de petites villes, et n’avaient guère fréquenté les grands de la terre. La magnificence de la cour, à laquelle ils n’étaient pas habitués, les éblouissait. Ils n’étaient pas maîtres de leur émotion quand ils traversaient ces salles splendides, qu’ils passaient entre-deux rangs de protectores, ou gardes du corps, l’épée nue, qu’ils prenaient place parmi ces hauts fonctionnaires qui tant de fois leur avaient fait peur, et qu’ils apercevaient le prince, « avec ses vêtemens de pourpre et d’or, couvert de bijoux, qui semblaient jeter des flammes. » Ils croyaient alors être en présence « d’un ange du Seigneur, » et il leur semblait qu’ils avaient devant les yeux « une image du règne du Christ. » Quelquefois leur reconnaissance dépassait toutes les bornes : il y en eut un qui, entraîné par son admiration pour Constantin, le proclama saint par avance et annonça « qu’il règnerait dans le ciel avec le fils de Dieu. » Le prince trouva l’éloge un peu forcé ; -mais, s’il ne voulait pas accepter d’être béatifié de son vivant, il était bien aise de voir les évêques le traiter comme une sorte de collègue et lui accorder une compétence ecclésiastique. « Vous

  1. Ammien Marcellin, qui était resté fidèle à l’ancien culte, accuse les empereurs chrétiens d’avoir désorganisé le service de la poste en donnant à un trop grand nombre d’évêques le droit de-s’en servir, quand ils se rendaient à quelque concile.