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pour rendre à l’imposture et à la politique ce qui n’appartenait pas aux démons.

Et la sorcellerie ! A coup sûr, il serait mensonger de dire que c’est la renaissance qui l’a mise au monde ; cependant, il est remarquable qu’elle n’a eu toute sa puissance que lorsque le pédantisme classique s’est rencontré avec le pédantisme théologique. L’ère véritable des procès de sorcellerie ne commence qu’au XIVe siècle, avec la première renaissance, en sorte que cette lugubre épidémie se trouve contemporaine de Pétrarque et de Boccace, de Chaucer et de Froissard; je ne cite ces noms illustres que pour mieux faire remarquer le contraste étonnant qui existe entre les lumières qu’ils représentent et la chose ténébreuse par excellence. Le temps marche, et, bien loin de s’effacer, ce contraste va grandissant au profit de la chose de ténèbres, qui voit son influence s’accroître de toutes les impostures renouvelées de l’antiquité. Ce n’est pas au moyen âge, c’est au XVIe siècle et dans la première moitié du XVIIe siècle que la sorcellerie a trouvé ses historiographes, ses théoriciens, ses croyans fanatiques, et l’enfer ses géographes et ses statisticiens. Or ceux-là ne sont pas d’obscurs exorcistes ou des moines ignorans; ce sont des savans sérieux, dont quelques-uns presque illustres: Corneille Agrippa, Cardan, Delrio, Bodin, Jacques Ier, etc. Et cette imposture monacale, si vaillamment raillée par Rabelais, Ulrich de Hutten, Calvin et autres, n’est-il pas vrai qu’elle ne disparaît que pour faire place à un autre genre d’imposture mise expressément au monde par la renaissance, l’imposture savante et lettrée ? Que ne vit-on pas en ce genre dans ce siècle où Calvin écrivit son redoutable pamphlet sur les faux miracles et les fausses reliques ! Corneille Agrippa n’avait-il pas un diable attaché au collier de son chien ? Paracelse n’en avait-il pas un autre emprisonné dans la poignée de son épée? Cardan ne fut-il pas servi pendant de longues années par un démon que son père avait mis en esclavage à son profit? Le pauvre Torquato Tasso n’avait-il pas (bien sincèrement celui-là!) son démon familier avec lequel on l’entendait disputer de longues heures ? Et la magie ! Savans et grands de la terre à la fois ne se plaisaient-ils pas à croire, et surtout à laisser croire, qu’ils en connaissaient les secrets? Le XVIIe siècle avait déjà vingt ans lorsque Robert Burton écrivait dans son Anatomie de la mélancolie cette phrase curieuse : « Néron et Héliogabale, Maxence et Julien l’Apostat ne furent jamais aussi adonnés à la magie que le sont aujourd’hui quelques-uns des princes et des papes mêmes. » A princes ajoutez savans, et à papes théologiens, et cette phrase sera bien mieux encore l’expression de la vérité. Le moyen âge n’a pas ignoré l’astrologie judiciaire; cependant il nous semble