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celui de Leibniz, sans compter le système scolastique que Descartes n’avait pas détruit, et celui de Gassendi, qui s’était formé en dehors de lui.

Tel était l’état de la philosophie lorsque commença le XVIIIe siècle, qui devait naturellement être disposé à prendre le contre-pied du siècle précédent. Ce siècle est dominé en philosophie par Locke, comme le XVIIe par Descartes. Locke, comme Descartes, est frappé des opinions divergentes et contradictoires qui partagent les philosophes et, comme lui, il cherche un moyen de fonder une philosophie exacte à l’abri des disputes inutiles. Mais il ne paraît pas croire que ce soit la méthode de Descartes qui résoudra le problème. Il est d’un pays et d’un temps où une toute autre méthode était considérée et pratiquée comme la vraie méthode scientifique. Cette méthode est la méthode expérimentale, qui consistait dans l’observation et l’analyse des faits, et non, comme le voulait Descartes, dans la déduction des idées. Sans doute, ce sont surtout les Écossais qui ont invoqué l’exemple des sciences physiques et naturelles, et qui ont pensé qu’il fallait appliquer à la science de l’esprit humain la même méthode qui avait si bien réussi dans ces sciences ; mais c’était bien déjà la pensée de Locke, lorsqu’il se glorifiait de vivre dans le temps de M. Newton et de M. Huyghens. Il ne parle pas de Descartes. Sans le dire expressément, comme le firent plus tard Reid et Stewart, il avait tenté ce que les Écossais devaient recommander après lui, à savoir l’application de la méthode expérimentale à la psychologie. Son livre est la généralisation de cette méthode.

La pensée de Locke inspira toute la philosophie du XVIIIe siècle en Angleterre et en France. On put croire que la métaphysique s’était enfin constituée à titre de science positive. Les savans eux-mêmes l’acceptaient et la reconnaissaient, à titre d’analyse des sensations. Cependant, cette philosophie avait-elle réussi autant qu’elle le croyait à l’élimination de tous les systèmes et à la suppression des controverses philosophiques ? Nullement ; et la doctrine de Locke devait engendrer, comme celle de Descartes, des opinions hétérogènes. De cette doctrine devaient sortir et l’idéalisme de Berkeley, et le matérialisme d’Holbach et de Diderot, et le scepticisme de Hume, lequel suscitait par réaction le dogmatisme de l’école écossaise fondée sur le sens commun. En dehors des écoles, Rousseau relevait le spiritualisme et le déisme. En outre, indépendamment de ce conflit entre les diverses opinions du siècle, il y avait un conflit plus général et qui ne paraissait nullement terminé par la méthode de Locke. C’était le conflit entre le XVIIIe siècle et le siècle précédent, entre le siècle de l’idéologie et celui de la