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l’admiration de la tradition et les hardiesses nouvelles. A cet esprit de confiance dans la raison, à cet optimisme général, à cette haute espérance de conciliation politique et sociale correspondait en philosophie la pensée d’une conciliation des systèmes et d’une fraternité universelle. Cette philosophie conciliatrice crut avoir trouvé le mot du siècle. Elle a échoué, nous en avons raconté l’histoire ; mais, en échouant, elle a cependant laissé des traces profondes chez ceux-là mêmes qui la combattent. Si on applique à l’école éclectique son propre critérium, on peut dire qu’il y avait dans cette conception une part de vérité dont tout le monde a profité, et aussi une erreur qui devait la perdre. Elle a triomphé comme méthode ; elle a échoué comme système, ainsi que tous les systèmes précédens. Cet échec a dû amener par réaction la doctrine contraire. N’osant plus dire que tous les systèmes ont raison, on fut conduit à dire, au contraire, que tous les systèmes ont tort. Au lieu de fonder la métaphysique sur la conciliation des idées, on supprima toute métaphysique par l’exclusion de toutes les idées, ou du moins en ne laissant subsister que celles qui peuvent être extraites des sciences positives. La science, qui, jusque-là, avait accepté la séparation, crut le moment venu de prendre sa revanche et de dire à son tour : C’est moi et moi seule qui suis la philosophie. C’est ainsi que le positivisme est venu se substituer à l’éclectisme.

M. Pasteur, dans son admirable discours de réception à l’Académie française, où il remplaçait Littré, a dit qu’il n’avait rien trouvé de bien nouveau dans le positivisme, que c’est tout simplement une philosophie bien ancienne et bien connue, le scepticisme, et pas autre chose. Cela est vrai, et il est également vrai que tous les systèmes de nos jours ne sont que les systèmes anciens. Tous les systèmes renaissent, mais ils renaissent rajeunis, transformés, sous une forme différente et avec un caractère nouveau. Le positivisme est un scepticisme qui se distingue profondément du scepticisme antérieur. Les anciens sceptiques mettaient en question toute la connaissance humaine, y compris les mathématiques, à plus forte raison les sciences de la nature, qui existaient à peine à cette époque. Les sceptiques du XVIe siècle en étaient encore là. Le livre sceptique d’Agrippa est intitulé : De incertitudine scientiarum ; celui du médecin Sanchez a pour titre : Quod nihil scitur. Montaigne, dans son scepticisme, ne fait aucune réserve ni aucune exception pour les sciences, qu’il ne connaissait guère. Encore au XVIIIe siècle, en Angleterre, nous trouvons encore un écrit anonyme sur l’Incertitude des sciences. Le positivisme se place au contraire à un point de vue tout différent : l’opposition de la science et de la philosophie. M. Pasteur lui-même, dans son discours, en comparant aux sciences morales, qui ne reposent que sur le sentiment, l’inébranlable