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car, par le moyen de la science, on peut éviter les froissemens qui se produisent dans des crises trop retardées. On peut obtenir ainsi, par une marche graduée, ce qui autrement aurait amené des révolutions violentes. Sans doute, tous les changemens sociaux amènent toujours des résistances que l’on aurait tort d’attribuer uniquement à l’égoïsme et qui viennent plutôt de l’ignorance. Nul n’est assez absurde pour se constituer sciemment en insurrection contre la nature des choses. Auguste Comte, sans exagérer, dit-il, la portée de l’intelligence humaine, croit cependant que la démonstration et la persuasion ont une importance supérieure à celle qu’on leur a attribuée jusqu’ici.

Si la politique a pour objet de se conformer à la tendance naturelle de la civilisation, le problème fondamental de la politique est de déterminer quelle est cette tendance. On pourrait croire qu’il suffit pour résoudre ce problème d’étudier seulement la civilisation dans son état présent ; mais l’étude de l’état actuel est tout à fait insuffisante : car tout y étant mêlé, le passé, le présent et l’avenir, il est impossible de démêler la tendance qui résulte de ce conflit des forces. « Il ne faut pas craindre, dit Auguste Comte, quand on est arrivé au point de vue positif, de s’élever au plus haut degré de généralité possible, pour être en mesure de comprendre et d’interpréter les faits. » Cette vue est remarquable ; est-elle bien d’accord avec le point de vue positiviste ? Nous ne l’examinerons pas. L’auteur se sert de l’exemple des physiologistes. On a cru souvent qu’il suffisait, pour établir les principes de la physiologie, d’étudier l’homme ; mais on a bientôt vu que, pour comprendre l’homme, il fallait embrasser toute la série animale, et partir de l’idée la plus haute et la plus générale de l’animalité. C’est ainsi que, pour comprendre l’état actuel de la civilisation, il faut parcourir les diverses phases ou étapes qu’elle a parcourues, pour en conclure la direction générale qu’elle a prise. Pour fixer cette direction, Auguste Comte nous propose le critérium suivant. Lorsqu’un ensemble d’institutions, considéré pendant plusieurs siècles, va toujours, soit en augmentant, soit en diminuant, c’est une preuve que ces institutions sont, dans le premier cas, conformes à la tendance générale de la civilisation ; dans le second cas, en sens inverse de ces lois. Pour en revenir à la méthode, Auguste Comte dit qu’il faut distinguer ici l’ordre chronologique de l’ordre philosophique. Il ne faut pas dire : le passé, le présent, l’avenir ; il faut dire : le passé, l’avenir, le présent. Ce n’est que lorsque par la connaissance du passé on a conçu l’avenir que l’on peut utilement revenir sur le présent.

Ainsi, la science politique repose sur l’histoire, sur la