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celui qui la possède une réserve en cas de besoin, une valeur négociable et transmissible à laquelle les acquéreurs ne font jamais défaut.

Si les liens du sang et du mariage incitent les indigènes à se grouper en clans, en revanche ces liens cessent d’exister lorsque surviennent la vieillesse ou la maladie. Comme aux îles Loyalty, ils soignent les vieillards et les malades pendant un certain temps, puis, quand ils s’aperçoivent que leurs soins n’amènent aucune amélioration, ils prennent le parti d’enterrer vifs leurs patiens, tout en ayant l’attention de laisser la tête hors de terre, ce qui permet aux parens d’aller de temps à autre s’assurer s’ils vivent encore ou de constater le décès, auquel cas ils leur font des funérailles convenables.

A mesure que la civilisation s’étendait, que l’Australie se colonisait, le besoin de travailleurs se faisait de plus en plus sentir. Il en fallait pour les fermes et les stations de Queensland, pour les plantations de cannes à sucre et de coton, et naturellement on tournait les yeux vers ces îles peuplées de sauvages, toujours en guerre, vigoureux et solides. Transplantés, disséminés, bien encadrés et bien dirigés, on en pouvait faire d’excellentes recrues, habituées au climat, faciles à nourrir et sans exigence aucune quant aux vêtemens. Aussi, sur certains points, les navires d’engagés, comme on les appelle, se livrèrent-ils à une véritable chasse à l’homme. Les abus furent tels, et telles aussi les représailles exercées par les tribus exaspérées sur des équipages innocens, que les autorités anglaises intervinrent, non pour empêcher, mais pour régulariser ce genre d’industrie. Si le contrôle officiel n’est pas absolument efficace pour réprimer tous les excès, il en a du moins considérablement diminué le nombre, et les capitaines ont plus souvent recours à la séduction qu’à la violence pour décider les indigènes à émigrer à leur bord. Dans certaines lies, ils s’entendent avec les chefs, heureux de se débarrasser d’adversaires inquiétans, de partisans trop exigeans ou de malfaiteurs dont ils ne savent que faire. Ailleurs, ils font miroiter aux yeux de leurs auditeurs les mirages d’une traversée indolente, d’une vie facile dans un pays où abondent ignames, taro, patates douces, et des Maries de Malo, la Paphos océanienne.

C’est ainsi que Narua racontait, — dans ce langage bizarre qu’ils appellent anglais biche de mer, parce qu’il sert d’intermédiaire entre les trafiquans et les pêcheurs de tripang, — comment il avait cédé à la tentation de quitter Api, son pays. Le capitaine l’avait abordé, paraît-il, sur la plage, au moment psychologique. A la suite de je ne sais quel délit, il avait reçu du chef une cravachée de main