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surtout dans les rangs de la haute finance ; ils entraînèrent dans leur cause l’agriculture, qui est en souffrance presque partout. Toutefois, on reconnut qu’il n’était pas possible d’entamer une action diplomatique avant que le public anglais eût une idée bien nette, une conviction éclairée au sujet d’une innovation fondamentale. Une pétition en ce sens fut signée par 248 membres du parlement, et, au mois de septembre dernier, le premier lord et la chancellerie de l’échiquier instituèrent solennellement une Commission-royale, avec un large programme embrassant les questions financières ou commerciales que peut soulever la circulation monétaire.

Lorsque le premier ministre vint lire à la chambre des communes la liste des onze membres qu’il avait choisis, on fut frappé d’y compter des bimétallistes en majorité, sous la présidence de M. Balfour, chef très actif d’une ligue formée pour le relèvement du métal aujourd’hui déprécié. On crut dans le public que le gouvernement avait pris parti et qu’il inclinait à établir la coexistence de deux étalons. L’argent, qui était tombé sur le marché anglais au prix infime de 42 pences l’once anglaise (rapport de 1 à 22 1/2), remonta progressivement au cours de 47 pences (1 à 20) ; c’était une plus-value de 8 pour 100. L’émotion fut grande dans le monde commercial, en Amérique surtout. Les silvermen se persuadèrent que l’adhésion de l’Angleterre devait entraîner l’assentiment universel en faveur de leur cause. Il eût été impolitique de la part des goldmen de dissiper ce beau rêve. Ainsi s’explique le temps d’arrêt dans la lutte que j’ai signalée.

Il y a plus de dix mois que la commission royale est en fonction ; elle n’a pas encore donné signe de vie. Quoiqu’elle ne soit pas constituée dans des conditions de parfaite impartialité, jamais elle n’osera déclarer à la face du monde que le monde entier doit s’entendre pour attribuer au métal déprécié une valeur de convention, dût-elle se prononcer en ce sens que jamais on ne verra un parlement anglais décréter l’abolition de son système monétaire, expérimenté depuis soixante-dix ans, « système qui a satisfait tous les besoins du pays sans donner lieu aux inconvéniens qui se sont manifestés ailleurs et sous d’autres régimes ? » Ces paroles, que je copie, sont celles qui ont été prononcées à la conférence, en 1881, au nom du gouvernement anglais, par M. Freemantle, le directeur de la Monnaie et l’un des membres de la commission. Un pareil revirement n’est pas possible ; s’il avait lieu, il n’entraînerait pas l’Allemagne ni les pays Scandinaves.

On peut donc prévoir que dans un an, deux ans peut-être, l’impuissance de la commission royale et l’abstention de l’Angleterre seront constatées. Aux États-Unis, il y aura désillusion et découragement. Quelque incident politique ou commercial fera pencher la