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forme. En 1822, elle parut au congrès de Vérone, où personne ne l’avait invitée. Elle aimait à se montrer, à rappeler son existence ; tant de gens étaient tentés de croire qu’elle n’existait plus !

Elle s’était fait un fonds de philosophie. Elle donnait d’excellens conseils à sa chère Victoire, et lui représentait dans ses lettres que le mieux est l’ennemi du bien, qu’il faut s’appliquer à éviter les démarches brusques, les aventures, « qui cassent quelquefois le cou aux meilleures causes, » que certaines personnes sont « de terribles emplâtres, » que c’est un grand ennui d’avoir un foie et une bile, qu’il est difficile d’être tout à fait à son aise dans ce monde quand on a des rhumatismes et des nerfs, mais que, quand on vit avec des gens d’un caractère épineux et tourmentant, la sagesse consiste à ne pas faire attention à leurs tracasseries, qu’au surplus, si l’on surmonte le premier dégoût, on se fait à tout petit à petit. Elle aurait pu lui enseigner aussi qu’il faut laisser les vertus extraordinaires, les grandes pitiés comme les grands dévoûmens, aux âmes un peu folles et la religion du malheur aux sœurs grises. Mais elle n’aurait en garde. Parce qu’elle avait des nerfs et des larmes, elle se croyait de bonne foi la plus aimante des femmes, et parce que sa conscience oubliait tout, elle se croyait irréprochable. Au fait, le monde ne trouvait rien à lui reprocher ; il pensait seulement qu’elle était médiocrement intéressante, et quand le 17 décembre 1847, à l’âge de cinquante-six ans, elle mourut d’une congestion pulmonaire, il ne s’en émut point : depuis longtemps, il avait oublié cette oublieuse.

Napoléon était mort sans avoir un instant douté d’elle et de son inviolable fidélité. Toutefois, dans les derniers jours, il ne pensait pas à Marie-Louise, mais à Joséphine, qu’il avait cru voir assise à son chevet. « Elle s’est envolée au moment où j’ai voulu la prendre dans mes bras. Elle m’a dit que nous allions nous revoir pour ne plus nous quitter. » Pourquoi l’avait-il quittée ? L’événement lui a donné tort. Michelet, comme le rappelle M. de Saint-Amand, disait dans un de ses cours que Napoléon avait appris à la France à se taire, mais que le jour où il annonça l’intention de se séparer de sa créole, tout le monde parla. Les hommes disaient : « Elle ne lui donne pas d’enfant ; il lui en faut un. » Les femmes, sans discuter, répondaient : « N’importe, cela ne lui portera pas bonheur. » Les Allemandes étaient, sur ce point, du même avis que les Françaises. Le 21 décembre 1809, Hegel écrivait à son ami Niethammer que l’empereur, par son divorce, venait de se brouiller avec toutes les femmes de Nuremberg, qu’elles ne lui rendraient jamais leurs bonnes grâces. Cela prouve que les femmes ont quelquefois raison.


G. VALBERT.