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exceptionnelle. Elle est le produit d’une minorité riche qui a voulu affirmer son amour du bien et le souci qu’elle a d’elle-même. Elle a été bâtie pour remplacer la division consacrée, dans le principe, aux vieillards, et qui rapidement était devenue insuffisante. Quoique fondée en grande partie par la famille de Rothschild, elle n’en reste pas moins, comme l’hôpital, entretenue par les souscriptions que recueille le comité de bienfaisance Israélite. Ses débuts, par suite des circonstances désastreuses que notre pays traversait, se manifestèrent en dehors de la communauté juive ; ils furent patriotiques et d’un intérêt général. La maison venait d’être terminée, on commençait à la meubler, mais nul vieillard n’y avait encore été admis, lorsque éclata la guerre de 1870. Au milieu du mois de septembre, Paris était investi, l’ennemi battait l’estrade à nos portes, les combats d’avant-postes étaient fréquens et précédaient les batailles décevantes ; la guerre faisait son office et blessait les hommes, en attendant que la famine aidée par le froid les décimât. La maison fut bientôt convertie en ambulance, on installa des lits, on fit provision de linge à pansement et l’on se tint prêt à venir en aide aux combattans ; Israël arbora la croix rouge et ne s’épargna pas. Après la période d’investissement vinrent la révolte, la commune, le siège, les luttes impies, les incendies, les massacres ; ouverte à tous, la maison reçut, en ces heures exécrables, quatre cent quatre-vingt-trois malades et blessés dont le séjour, la nourriture et le traitement n’appauvrirent ni la caisse de la municipalité ni celle de l’état, car tous les frais de cet hôpital militaire improvisé furent supportés par l’administration consistoriale israélite de Paris. Rendue à sa destination primitive, la maison était pleine, lorsque je l’ai visitée, au mois de mai dernier, et les quatre-vingt-six lits qu’elle contient étaient occupés. Suffisent-ils à la population juive indigente et caduque ? Non pas ; en ce moment, plus de cent postulans, dont un tiers d’octogénaires, frappent à la porte et attendent.

Un énorme promenoir couvert, prenant jour sur le jardin, abrite les pensionnaires et leur permet l’exercice lorsque le mauvais temps les retient au logis. Nulle séparation entre les sexes ; le promenoir, comme le préau, est commun aux hommes et aux femmes ; on peut causer ensemble du a bon vieux temps, » se rappeler les heures de sa jeunesse et revivre son passé en le racontant. Les vieux Manassès ramassent la canne des vieilles Salomé, et l’on échange des prises de tabac sympathiques. Chante-ton le Cantique des cantiques ? j’en doute ; les Sulamites ne pourraient plus dire : Sum nigra sed formosa ; je les ai trouvées blanches, ridées et d’une beauté contestable ; quant aux a bien-aimés, » il m’a semblé qu’ils n’étaient semblables ni aux chevreuils ni aux faons des biches. Les