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l’emploi convoité, il faut attendre que la vacance se produise ; il faut, enfin, avoir une apparence de titre, un semblant d’aptitude. Ces obstacles n’existent point à Paris : les cadres merveilleusement élastiques des administrations centrales se prêtent, sans difficulté, à l’admission d’un nouveau-venu, s’il est suffisamment appuyé. Il y fait un stage plus ou moins long, suivant le crédit de son protecteur ; il prend rang dans la hiérarchie, et le voilà prêt pour les plus hautes destinées, comme tel ou tel dont la fortune rapide a enflammé les imaginations de tout un département. Aussi, pour un candidat prêt à se contenter d’un poste de province, y en a-t-il dix qui visent à entrer, à un titre quelconque, dans n’importe quel ministère.

Paris est donc le foyer le plus actif du favoritisme ; c’est dans le personnel des administrations centrales qu’on découvrira le plus aisément des sinécures, des places qui aient été créées en vue d’un postulant et non en vue d’un service. Comme on ne saurait avoir trop de ces asiles bénis dont l’hospitalité providentielle est si propice aux candidats à pourvoir, on ne s’en est pas tenu à multiplier les bureaux, les divisions, voire même les directions, on a été conduit à multiplier les ministères. On a vu se renouveler, dans l’ordre administratif, le phénomène que les naturalistes constatent chez certains êtres qu’on peut impunément couper en morceaux, parce que chaque morceau devient immédiatement un être nouveau pourvu de tous les organes nécessaires à son existence. De même, on a coupé en tranches les grands services publics, et chaque tranche est devenue aussitôt une administration indépendante que le budget a dotée d’un organisme complet, comme il convient à un vrai ministère. La dépense serait peu de chose si elle se bornait à un traitement de ministre, soit à 60,000 francs ; mais il y a tout un état-major à rétribuer. Un député se croirait-il vraiment ministre s’il allait et venait sans que les portes fussent ouvertes devant lui par un huissier en habit noir et orné d’une chaîne d’argent ? Non moins indispensable que les huissiers est le secrétaire particulier, auquel il faut un expéditionnaire et un garçon de bureau. Puis vient le cabinet de M. le ministre, qui comprend nécessairement un chef du cabinet, un chef-adjoint ou un sous-chef, un chef du bureau du cabinet avec deux ou trois employés, plus un nombre indéterminé d’attachés au cabinet, ce qui suppose au moins deux huissiers et une demi-douzaine de garçons de bureau. Si le ministre, sous prétexte qu’il est souvent appelé aux chambres, s’accorde un sous-secrétaire d’état ou un directeur-général, il faudra donner à ce haut dignitaire un cabinet presque aussi nombreux que celui de son chef. Ensuite, un hôtel est indispensable, ce qui