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Les saluts répétés qu’ils adressent ainsi à l’autel ou aux saintes images rappellent ceux que le serf prodiguait naguère à son seigneur ; pour nous Occidentaux, ces profondes et rapides inclinations ont quelque chose de servile et de fatigant. Dans une église russe, un étranger a peine à ne pas être étourdi par le balancement de la foule qui oscille autour de lui. Cette tenue à l’église, où le corps s’agite sans cesse, rappelle moins la grave attitude de l’Orante chrétienne des Catacombes que la prière musulmane, elle aussi, accompagnée d’inclinations et de prosternemens réglés par l’usage. Comme celle de l’invocateur d’Allah, la prière russe est un véritable exercice, une espèce de gymnastique sacrée. Si les classes cultivées ont, sous l’influence occidentale, abandonné cette religieuse pantomime au bas peuple, ce dernier y paraît fort attaché. Il n’a point l’air de savoir prier autrement. Beaucoup semblent embarrassés de leur personne lorsque, durant les longs offices, la fatigue les contraint à suspendre leurs signes de croix et leurs prosternemens. J’en ai vu ne s’arrêter qu’après des centaines de génuflexions.

On ne fit point ou on fit peu dans les églises russes. L’usage n’est pas d’emporter un livre aux offices. L’homme du peuple trouverait inconvenant de s’asseoir dans l’église pour y lire un livre. Cela le choque dans les églises latines. Les gens pieux lisent l’office du jour d’avance, pour être mieux en état de le suivre à la messe. Le commun des fidèles se contente de faire brûler des cierges, de se signer et de s’incliner en répétant sans cesse les mêmes formules ; uni d’intention au prêtre, il suit l’officiant du regard, il écoute le grave plain-chant et jouit de la noblesse du service divin et des chants sacrés.

La liturgie[1] pravoslave est bien faite pour commander l’attention et le respect du peuple. Elle n’a qu’un défaut, l’extrême longueur de ses offices, qui contraint le clergé à en dépêcher rapidement certaines parties. Les antiques cérémonies du rite grec sont d’ordinaire célébrées avec une dignité imposante. Les Russes l’emportent, à cet égard, non-seulement sur les Latins, mais sur les Grecs, leurs coreligionnaires. Jusque dans les églises de campagne, la plupart des popes, parfois les plus ignorans et les moins tempérans, apportent à l’autel une majesté vraiment sacerdotale. Le peuple, aussi bien que l’homme ou la femme du monde, attache une grande importance à la manière dont ses prêtres officient. Une belle prestance, de beaux traits, de beaux cheveux longs, une belle voix, sont des qualités fort appréciées chez le clergé. La liturgie, la messe grecque, dont les parties les plus mystérieuses sont célébrées

  1. Nous prenons ici ce mot dans le sens le plus large ; en Orient, il désigne, à proprement parler, la messe.