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souci de n’oublier dans leurs hommages aucun des saints du lieu. Bu pareille matière, le moujik est singulièrement éclectique ; l’important pour lui semble être de ne négliger aucun des personnages ou des officiers de la cour céleste.

Au-dessus de la plèbe, en quelque sorte anonyme, des images qui portent en vain leur nom ou leurs attributs, s’élèvent les icônes réputées miraculeuses et honorées du titre de faiseuses de prodiges. La Russie en est peut-être plus riche que l’Italie ou l’Espagne. Il est peu de villes ou de couvons qui ne se fassent gloire d’en montrer. Comme presque partout, les plus vénérées sont d’ordinaire les plus anciennes et les plus noires. Quelques-unes passent pour achiropoiètes, pour n’avoir pas été faites de main d’homme ; d’autres, comme en Occident, pour provenir du pinceau de saint Luc. Un grand nombre ont été miraculeusement découvertes et possèdent une légende. À beaucoup se rattachent des souvenirs locaux ou nationaux, la fin d’une famine ou d’une épidémie, le gain d’une bataille.

Les Russes, dans toutes leurs guerres, emportaient avec eux quelque sainte icône ; victorieux, ils lui reportaient le succès de leurs armes. Smolensk possède une vierge chère à tout l’ouest orthodoxe. Pierre le Grand en avait une qui ne le quittait point ; elle est exposée aux prières des fidèles, à Pétersbourg, dans la petite maison de bois du réformateur, aujourd’hui transformée en chapelle. Il ne manque pas de patriotes qui lui attribuent la victoire de Poltava. Une autre vierge vint au secours des orthodoxes dans l’invasion de 1812, Notre-Dame de Kazan, une des plus populaires de l’empire. La prise de Kazan, sous Ivan le Terrible, la mit en réputation, et, depuis lors, elle a été invoquée dans toutes les crises nationales. Le boyar Pojarski et le boucher Minine vinrent, en 1611, la cherchera Kazan pour les aider à chasser les. Polonais de Wladislas, alors maîtres de Moscou. Un siècle plus tard, elle était transportée de la vieille capitale dans la nouvelle par Pierre le Grand, désireux de consacrer, aux yeux de ses sujets, la ville de la Neva. Pour l’abriter, Alexandre Ier fit élever la fastueuse église qui porte le nom de Notre-Dame de Kazan. Koutouzof y vint implorer l’assistance divine avant de partir pour Borodino ; et, depuis, chaque année, à Noël, les Russes y célèbrent un Te Deum pour la délivrance de la patrie. L’argent enlevé à la grande armée par les Cosaques du Don a été fondu pour en revêtir l’iconostase, et les aigles napoléoniennes, les drapeaux français aux couleurs fanées, en tapissent encore les murailles.

Ces icônes en renom sont d’ordinaire ornées de bijoux et de pierres précieuses de toute sorte. Les plus célèbres ont des parures de prix auxquelles l’Occident, ravagé par les révolutions, ne saurait rien opposer. Il en est qui, aux heures de péril national, ont