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A quelles lois obéissent-ils ? Ils ne sauraient vivre hors de leur élément, et dans cet élément même ils ne sauraient exister au-delà d’une certaine profondeur. Dans ces abîmes, qui dépassent 10,000 mètres, ainsi que l’a constaté le lieutenant américain Walsh, dans ce royaume de l’asphyxie et de la mort où règne, avec une température toujours égale et voisine de zéro, une immobilité sépulcrale, se déroulent en reliefs puissans des montagnes et des vallées, des collines et des plaines. Tout un monde innombrable d’êtres organisés, depuis l’infusoire imperceptible jusqu’à la baleine gigantesque, vit, s’agite, aime et meurt dans un fouillis de plantes merveilleuses, au sein d’une végétation incomparable qui tapisse ces ruines de continens submergés.

Sur une montagne engloutie dont nul indice ne révèle l’existence à l’homme, sur une de ces cimes sous-marines, les infusoires fourmillent, se multiplient, et sans relâche, dans l’ombre nacrée, ils poursuivent leur incessant labeur. Cette eau de mer dont ils se nourrissent contient en dissolution du chlorure de soude, de magnésie et de potasse, des sulfates, du carbonate de chaux, du fer et jusqu’à de l’argent évalué à 2 billions de kilogrammes, c’est-à-dire à mille fois plus que le produit annuel de toutes les mines connues. De ces substances diverses ils sécrètent une parcelle invisible de matière solide, la millième partie d’un grain de sable, et l’incrustent dans le roc ; Poussière d’atomes qui, avec le temps, va former un écueil redoutable, affleurant à la surface, affectant partout et toujours la même forme concentrique.

L’écueil grandit, ses contours s’accentuent. C’est au début une ceinture de corail encerclant plusieurs kilomètres de mer, ainsi convertie en un lac Autour de cette ceinture, une seconde s’élève. Sur elles, les vagues déferlent sans les entamer, rejetant, dans l’espace qui les sépare, des sables, des débris de coquillages, des varechs, des algues marines déracinées par les tempêtes, entraînées par les courans. Ces matières s’accumulent, masse boueuse et flottante, puis se tassent et se solidifient. Bientôt, à quelques pieds au-dessus de la mer, on discerne une côte basse, arrondie ; au centre, une lagune qui peu à peu se comble. L’écueil est devenu un embryon d’île.

L’insecte invisible a terminé son œuvre ; sur ce sol ainsi préparé, la végétation va paraître, le consolider et l’exhausser. Dans ce sable, le pandanus dresse le premier sa tige noueuse et résistante, ses feuilles lancéolées qui bruissent au vent. De ses branches rabougries sortent des pousses vigoureuses qui, de haut en bas, vont plonger dans le sol de nouvelles racines et lui donner la force de résister aux tempêtes. Il vit et prospère au milieu de ces débris