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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/122

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vie ; que l’ouvrier agricole et industriel puisse mettre la poule au pot le dimanche. » — « Jusqu’ici, continue le marquis de Palaminy, la statue de la Liberté avait seulement traversé le monde, mais elle était toujours en partie voilée. Aujourd’hui, nous voyons poindre l’aurore d’une véritable liberté, et c’est la loi de 1884 qui nous l’apporte. C’est là une grande loi, puisque c’est une loi de liberté plénière. » Nous sommes émiettés sur la surface du sol, et, tandis que l’industrie, le commerce, ont l’oreille du pouvoir, l’agriculture remplit le rôle de la femme arabe : elle est la bête de somme du fisc ; et, quand elle se plaint, on la traite de malade imaginaire. Le laboureur n’étant pas représenté dans l’état se voit sacrifié par l’état ; heureusement il commence à s’apercevoir que, pour que ses affaires se fassent, il doit les faire lui-même. Ainsi isolés, disséminés, éparpillés, comment pourrions-nous lutter avec succès contre la formidable armée des fonctionnaires qui dénaturent nos enquêtes, majorent la valeur de nos propriétés pour augmenter l’impôt, disposent sans façon de nos fortunes ? Grâce à eux, toute l’année devient carême pour le travailleur de la campagne. Pour défendre nos bourses, pour chasser l’ennemi qui est dans nos entrailles, il faut noua réunir, nous syndiquer. L’Allemagne, l’Angleterre doivent leur prospérité aux chambres syndicales ; et ne sont-ce pas des sortes de syndicats libres que ces associations fromagères, vieilles de deux cents ans, grâce auxquelles les habitans du Doubs conservent leur richesse, maintiennent les hauts prix de la terre, qui fléchissent presque partout ?

Autre avantage du syndicat agricole : rapprocher le producteur du consommateur, diminuer les frais de production, les frais de vente, réaliser autant que possible le problème de la vie à bon marché. Voyons, en effet, ce qui se passe aujourd’hui. On mouton vendu par l’éleveur à La Villette au prix de 0 fr. 65 la livre est livré au consommateur parisien au prix de 1 fr. 30. Un veau acheté 35 francs les 100 livres est aussitôt revendu 90 francs, soit 0 fr. 90 la livre. Certains commerçans de grains ont un procédé ingénieux qui consiste à changer l’unité de mesure qui a servi de base à l’achat : ont-ils acheté au litre, ils revendent au poids, et réciproquement. Ainsi, un hectolitre de haricots dits chevrier, acheté 70 francs, est revendu, quai de la Mégisserie, 1 fr. 80 le kilogramme ; or le kilogramme représentant 1 litre 25, celui qui le débite a majoré le cours du gros de 94 pour 100. Quel bénéfice pour le producteur et le consommateur, le jour où le syndicat agricole, association désintéressée, leur aura procuré la facilité de traiter directement entre eux en supprimant quelques-uns des intermédiaires I Pour cela, il choisit tout simplement un représentant, un homme de confiance