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s’il s’agissait d’un problème de haute métaphysique, non d’une question vivante, saignante en quelque sorte ? L’idée est mûre, elle attend une solution. Depuis longtemps déjà, des jurisconsultes comme M. Josseau, des hommes pratiques proclament la nécessité de ne plus traiter le cultivateur en mineur, de l’émanciper, de l’aider à triompher de la crise en lui facilitant l’accès du crédit, en supprimant les entraves que lui oppose une législation surannée. Le projet soumis au sénat en 1884 a malheureusement subi un grave échec, parce que, sans prescrire l’intervention directe et le concours de l’état, il introduisait une profonde perturbation dans notre code civil. Que les engagemens pris par le cultivateur dans un intérêt agricole soient assimilés aux engagemens commerciaux, ses billets à ordre soumis à la juridiction des tribunaux de commerce, rien de plus raisonnable : on assure ainsi l’économie de frais, la rapidité de jugement et d’exécution, la sanction efficace à la parole donnée, on consolide le crédit des agriculteurs en provoquant la confiance du capital, qui a horreur de l’inconnu et se défie de ces nouveaux cliens. Que le privilège du bailleur contre son fermier ou locataire soit restreint aux années échues, à l’année courante et à l’année suivante, on le comprend encore, car un tel privilège affaiblit beaucoup trop le crédit du preneur. Mais une troisième réforme, celle-là même qui a entraîné le rejet de la loi, prête le flanc aux objections les plus sérieuses : c’est la constitution du gage sans déplacement.

Aujourd’hui, l’agriculteur ne saurait donner un gage, livrer son outillage, son bétail, ses récoltes avant leur rentrée ; s’il se dessaisit, il ne peut plus ni cultiver, ni améliorer, ni produire ; il coupe en quelque sorte sa main gauche avec sa main droite. Il y a là, comme on l’a dit, une impossibilité matérielle qui, au point de vue du crédit, stérilise entre les mains des cultivateurs des valeurs mobilières que, pour toute la France, on n’évalue pas à moins de 12 milliards. C’est pourquoi certains publicistes, MM. Josseau, Emile Labiche, Luzzati, proposent que l’agriculteur puisse donner toutes ces choses en gage, sans déplacement, moyennant certaines formalités de publicité, que quelques-uns même voudraient mettre de côté parce qu’elles leur répugnent. Tous les objets affectés au privilège du prêteur seraient désormais, en fait sinon en droit, séquestrés dans les mains du propriétaire, et le créancier, s’il n’a pas la possession réelle, aurait une possession fictive. Si le débiteur s’avise, au mépris de ses engagemens, de détourner les objets, il tombe sous le coup de l’article 408 du code pénal ; s’il ne peut payer à l’échéance, la réalisation du gage sera très rapidement obtenue. On rappelle, à l’appui de cette réforme, qu’une loi de 1851 autorise, au profit des banques coloniales de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion,