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L’unique excuse de M. Zola, — car, pour le dire en passant, ce n’en est jamais une d’avoir suivi, comme l’on dit, son tempérament, et le mieux, en tout cas, est toujours de commencer par y résister, — c’est qu’on l’a poussé de toutes parts dans la voie de ses pires défauts. Et il peut plaire à quelques-uns de l’oublier aujourd’hui, mais il nous plaît, à nous, de le leur rappeler. Si ses admirateurs n’ont peut-être pas réussi à faire encore de lui le « grand romancier » qu’il croit être, c’est bien eux qui ont fait de M. Zola le romancier qu’il est. Pour trouver la Terre ce qu’elle est : une rapsodie détestable ; il ne fallait pas commencer par louer dans Germinal, dans Pot-Bouille, dans Nana, ni dans l’Assommoir les défauts naissans dont la Terre n’est après tout que le monstrueux épanouissement. Mais quiconque en ce temps-là se permettait d’y voir et d’y reprendre cette même grossièreté de langage, ou cette même insuffisance et banalité de l’observation, ou ce même manque enfin de sens moral, dont il semble que tout le monde s’aperçoive aujourd’hui, celui-là se faisait, en moins de vingt-quatre heures, une solide réputation d’étroitesse et de timidité d’esprit. Eux, au contraire, ils avaient le respect de l’art et de la liberté, libres eux-mêmes, francs et dégagés des préjugés d’un bourgeois censitaire, ces chroniqueurs et ces feuilletonnistes qui savaient, comme ils disaient, reconnaître et louer le talent, sous quelque aspect et de quelque manière qu’il se manifestât, ou dans quelque fâcheuse aventure, pour éprouver sa force et pour étonner la province, qu’il se risquât. Ainsi sommes-nous faits en France, toujours courtisans du succès, et non moins empressés d’oublier, quand l’heure en est venue, pour quelle part nous y avons autrefois contribué. Combien se déchaînent aujourd’hui contre la Terre, qui, hier encore, admiraient Germinal, et combien se hâteront de retourner à M. Zola, si demain la Terre passe en nombre de mille Pot-Bouille, l’Assommoir et Nana !

C’est ici la part du public, après celle des journaux. Car, si quelque chose est plus grave encore que tout ce qu’il peut y avoir d’énormités ou d’obscénités dans la Terre, c’est qu’il se trouve un public pour les lire ; et il se trouvera. Pis que cela : de pareils livres ne sont possibles qu’avec la complicité du public, et, sans elle, pour infatué qu’il fût de son talent, ou de ce que l’on appelle autour de lui de ce nom, un romancier ne les écrirait pas. Que si là-dessus M. Zola, comme il en a bien l’air, croyait peut-être qu’il n’y a rien de plus dans la Terre, que ni les mots n’y sont plus gros, ni les choses plus énormes que dans ses précédens romans, j’ose bien l’assurer qu’il se trompe, mais il ne se trompe, assurément aussi, que d’une nuance ou d’un degré. Quelqu’un lui reprochait l’autre jour d’avoir manqué de patriotisme en calomniant le paysan ; mais, sans parler de ce qu’il y a de puéril et d’inopportun à mêler le patriotisme dans ces sortes de questions,