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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/282

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plusieurs années de travaux forcés militaires. Soumis à la discipline implacable, loin du pays, sans nouvelles de la famille, désespérés sous la dureté des climats du Nord, sans argent pour adoucir le dénûment de leur existence, ils étaient devenus un objet de commisération pour leurs vainqueurs eux-mêmes. Nulle rigueur exceptionnelle ne leur fut appliquée : ils étaient assimilés aux condamnés militaires allemands ; mais l’éloignement, l’exil, l’ignorance de la langue, ajoutaient à leurs souffrances des douleurs morales qui en doublaient l’intensité. On ne les oubliait point en France, et des personnes de cœur s’ingéniaient à leur porter secours. Comment y parvenir ? Après enquête, on pouvait connaître, à peu près, le nombre des absens ; mais ces absens, où étaient-ils ? Dans la tombe hâtivement creusée sur le champ de bataille, dans le cimetière des hôpitaux, sur le grabat des lazarets, dans la casemate des citadelles ? On ne pouvait le savoir qu’en parcourant l’Allemagne à la recherche de nos pauvres soldats ; c’est ce que firent quelques-uns de nos compatriotes ; entre autres une femme dont le nom doit être prononcé, dût sa modestie en souffrir, et qui s’appelle Mme Coralie Cahen.

Elle est Lorraine, née à Nancy, veuve d’un médecin qui eut de la célébrité à Paris, habile auprès des malades, adroite aux panse-mens, miséricordieuse et sachant les mots qui consolent. Dès que les premiers combats eurent fait brèche aux frontières françaises, elle courut à Metz, sachant bien que là les sinistres moissons ne manqueraient pas : elle s’enferma dans les hôpitaux, portant au bras le brassard de la convention de Genève, et devint une sorte d’infirmière en chef, se battant contre la mort et lui enlevant les victimes déjà désignées. Lorsqu’un blessé sentait ses forces défaillir et s’en allait vers une autre existence, elle appelait l’aumônier : « Celui-ci va nous quitter, aidez sa pauvre âme, affermissez-la et montrez-lui les lumières qui brillent au-delà du tombeau. » L’armée que commandait le maréchal Bazaine fut prisonnière, les Allemands entrèrent dans Metz, et Mme Coralie Cahen, cherchant comment elle pourrait se rendre utile encore, se dirigea vers l’armée de la Loire ; elle s’arrêta à Vendôme, où son dévoûment devait trouver à s’exercer. Dans le lycée de la ville, qui est une ancienne abbaye, on avait installé une ambulance ; c’est là qu’elle s’établit, comme dans une demeure d’élection où son zèle n’aurait plus de repos. Les blessés, les varioleux, les éclopés affluaient, pieds nus, les vêtemens en lambeaux, affamés, s’offrant en holocauste et désespérés de reconnaître que leur sacrifice demeurait stérile. Malgré l’ardeur des femmes de bonne volonté, malgré l’énergie de l’infirmière en chef, le labeur était lourd et c’est à peine si l’on y pouvait suffire. Mme Coralie Cahen, qui est de la race et de la religion d’Israël, savait par expérience